Avez-vous déjà passé des vacances au milieu de la campagne, sous le soleil implacable du sud de la France ? Le ciel est bleu et intense, l'eau de la piscine parvient à peine à vous rafraichir et toute la famille est comme engluée dans cette chaleur, incapable d'autre chose que de rôtir sous les violents rayons.
Jusqu'à ce que vous retourniez vers la porte de la grande maison familiale pour chercher de l'ombre. Vous passez le porche et cela vous frappe : la fraicheur de l'intérieur sombre et éteint vous frappe de plein fouet au point de vous faire tourner la tête. Et il en va de même lorsque vous ressortez dans le jardin.
Paternoster c'est ça : de grandes claques inattendues et pourtant logiques qui s'enchaînent au fil des pages.
Pour Dana, jeune femme issue d’un milieu modeste, Basil Paternoster a tout du compagnon idéal : séduisant, éloquent et de bonne famille. Mais lorsque vient la rencontre avec les beaux-parents, dans leur vaste propriété de campagne lors d’un été caniculaire, les choses s’engagent mal.
Ballottée entre les apéritifs qui n’en finissent pas, les traditions qui lui sont étrangères, et les échos de sombres secrets de famille, Dana doute. A-t-elle vraiment envie de faire partie de ce clan ?
Alors que ses idéaux se brisent et que la réalité la rattrape, c’est tout son équilibre qui chavire. Et si le bonheur n’était qu’un piège bien cruel ?
Le style franc et sans compromis de Julia Richard
Vous savez à quoi je fais référence ici si vous avez lu Carne : l'autrice ne s'embarrasse pas de paraphrase et pose les choses telles qu'elles sont et c'est bien cela qui nous empêchent de lâcher ses romans ! Une sorte de fascination morbide et d'ambiance glaçante proche des films d'horreur comme Get Out ou Midsommar s'installent et ne vous lâche plus jusqu'à la dernière page.
Ce franc-parler moderne tranche avec l'ambiance presque gothique de l'intrigue et du décor dans lequel se déroule le drame et créer un autre décalage perturbant qui participe de l'ambiance du roman. Dana non plus ne s'excuse pas et fait entendre sa voix face à la société, sa famille et ce nouveau petit ami pourtant si parfait... Mais sa voix et son caractère ne seront peut-être pourtant pas assez pour survivre à l'horreur psychologique qu'elle va subir, qu'on la considère comme une incursion du réalisme magique dans le récit ou comme une métaphore.
"Je ne sais pas quoi te répondre, Dana. C'est à toi de trouver ta place. Si tu ne la trouves pas, ne t'inquiète pas, elle te trouvera naturellement."
De plus, l'autrice, comme dans Carne avant Paternoster, prouve à nouveau qu'elle maîtrise sa prose à la perfection en jouant sur la temporalité de sa narration. En effet, bien que cette fois le fil principal de l'intrigue se déroule chronologiquement, on est parfois mis face à des flashbacks qui renforcent l'horreur de la situation car on sait que quelques mois plus tard, les choses n'auront pas changé.
Un suspens insoutenable
Dès les premières pages, vous savez que cela va mal se passer. Grâce au prologue et au résumé bien sûr, mais aussi parce que Julia Richard nous a habitués à ses histoires brutales. Et elle le sait ! L'autrice joue avec nos attentes dès le premier chapitre en nous faisant voir des signes là où il n'y en a pas pour mieux camoufler la réalité. Cette petite phrase est-elle vraiment étrange ou sommes-nous influencés par le prologue violent ? Basil lui offre des fleurs et tente vraiment de changer, peut-être que nous sommes trop durs avec lui et que, comme Dana, nous devrions lui pardonner ?
Vous pouvez chercher (je l'ai fait en vain), mais difficile de trouver la fin avant qu'elle n'arrive. Vous serez surpris, choqué et avant tout, en colère. Pas contre l'autrice, mais contre le fait que cette histoire se rapproche bien trop de la réalité et mette en lumière des choses que l'on préférerait ignorer.
"Ne t'en fais pas, on fera en sorte que tu deviennes parfaite !"
Dana est une jeune femme "comme tout le monde". Elle n'est pas extraordinaire, mais pas médiocre non plus, elle est dans la moyenne de ce que sont les jeunes femmes d'aujourd'hui : jolie, ambitieuse, anxieuse face à l'avenir, quelques amis et un job qui fait l'affaire, mais n'est pas le travail de ses rêves. Et c'est bien pour cela que les lecteurs et lectrices peuvent vite s'identifier à elle, l'encourager dans ses efforts et ses choix, mais aussi avoir (très) peur pour elle quand elle se dirige clairement dans le mur.
"- Hmm... Oui... Je vois... Donc si je suis votre raisonnement, quelqu'un qui ne connaîtrait pas tous ces films d'horreur aurait justement plus de chances de s'en sortir non ? Il, ou elle, aurait des idées plus fraîches sur le sujet... et pourrait se déjouer du psychopathe ? je rétorque, espérant reprendre un peu le dessus dans ce qui s'annonce clairement comme un combat."
Facile pour nous de dire qu'elle n'aurait pas du faire ceci ou cela. Qu'elle aurait dû s'enfuir et ne plus jamais mentionner les Paternoster! Mais l'histoire n'est pas aussi simple lorsqu'on la vit et que nos sentiments humains se retrouvent mêlés à une intrigue aussi horrifiante que celle-ci. En bref : vous chercherez à comprendre et à arrêter Dana, mais vous pouvez relire le livre dix fois, la fin ne changera pas.
Un cri de colère et de détresse universelle
"Ici on finit tous par déteindre les uns sur les autres."
Dana et Basil sont deux personnages complexes. Ni tout blancs ni tout noirs : ils sont vrais et nuancés au quotidien par leurs biais et leur éducation.
Certains diront que ce n'est pas possible, que la réalité décrite par Julia Richard est exagérée pour les besoins de la fiction. Et pourtant, beaucoup de personnes, et particulièrement de femmes, se retrouvent piégées comme Dana dans un cercle infernal de recherche de la perfection et de l'inclusion sociale. Où la réalité s'arrête-t-elle et où commence l'imaginaire ? C'est à vous de vous faire votre propre opinion.
Une chose est certaine c'est que ce roman ne vous laissera pas indemnes. Comme moi, vous en sortirez sûrement en colère, encore une fois, pas contre l'autrice ! Au contraire. Julia Richard met en lumière des problèmes que beaucoup pensent résolus et qui sont toujours là. L'horreur que vit Dana peut vous semblait être un mythe, une légende tout droit sortie du fantastique. Et pourtant...
"- (...) C'est ce que tu veux non ?
- De quoi ?
- Changer.
- Non ?
- Si, assure-t-il. Bien sûr que si. Tout le monde veut changer... Ne va pas me faire croire l'inverse. (...)"