"[...] le rêve est un bon moyen de remettre en question la perception que nous avons du réel et la prise, le pouvoir que nous avons sur lui."
A l'occasion de la sortie de Rêveur Zéro, Elisa Beiram revient sur l'écriture de ce roman paru aux éditions L'Atalante.
Actusf : Rêveur Zéro, votre premier roman est paru cette année aux éditions l’Atalante. Comment est né ce récit ? Qu’est-ce qui vous a incité à prendre la plume ?
Elisa Beiram : J’écris depuis l’adolescence : des nouvelles, des bouts de textes. À un ami qui me suggérait de « passer aux choses sérieuses », j’ai répondu qu’écrire un roman, je voulais bien, mais sur quoi ? Il m’a suggéré de prendre les rêves comme matière de base pour un récit, car c’est un sujet qui me passionne. Depuis toujours, je fais des rêves qui partent dans tous les sens, et parfois des rêves semi-lucides (sans agir directement sur l’action, je suis capable de l’orienter vers une issue plus favorable, en me relevant le plus naturellement du monde après une chute de plusieurs centaines de mètres, par exemple). À l'époque où j’ai commencé ce roman, c'était encore la mode des zombies, donc je faisais beaucoup de rêves de zombies, d'épidémies. C’était rigolo pendant un moment, mais j'en ai eu marre de toute cette putréfaction, alors j'ai voulu faire quelque chose d'autre : une épidémie qui puisse apporter des choses horribles autant que des choses merveilleuses. Et c'est ce qui a donné Rêveur Zéro, en référence au patient zéro d'une d'épidémie.
Actusf : De quoi celui-ci parle-t-il ?
Elisa Beiram : Rêveur Zéro parle d’une épidémie de rêves qui se matérialisent dans la réalité. Des rêves que les gens voient mais que les caméras ne peuvent pas capturer, et qui ont un impact réel sur ceux qui en sont témoins. Prenons un exemple : pendant que vous êtes au chaud dans votre lit, vous êtes peut-être en train de créer un tsunami quelque part, par le simple fait de le rêver, et les gens qui croient être submergés par ce tsunami meurent vraiment. Le phénomène se répand comme une épidémie, c’est-à-dire qu’il prend de plus en plus d'ampleur et surtout, qu’il semble contagieux. Les différents personnages vont essayer de comprendre ce qui cause cette épidémie, comment elle se propage, comment l'enrayer…
Actusf : L’intrigue se déroule sur 18 jours. Est-ce une difficulté de tout faire tenir sur un laps de temps donné ou plutôt une aide ?
Elisa Beiram : J’ai écrit le texte comme il venait, et il s’est avéré se dérouler sur dix-huit chapitres. L’Atalante, après lecture du manuscrit, m’a fait remarquer que le livre manquait de marqueurs temporels, qu’on ne comprenait pas bien combien de temps se déroulait entre les différentes scènes (une caractéristique propre au rêve, cela dit !). Dans ma tête, c’était à peu près un jour par chapitre. Ce que j’ai donc formalisé à la réécriture, en faisant quelques ajustements pour tout faire tenir dans le temps imparti. C’est donc plutôt le récit lui-même qui s’est imposé sur dix-huit jours, sans que je le voie comme une contrainte ou comme une aide.
Actusf : On suit plusieurs personnages en lien avec cette mystérieuse épidémie. Qui sont Zahid, Alma, Philipp et Janis ? Comment les avez-vous créés ?
Elisa Beiram : Ce sont des personnages clés, car ils sont positionnés aux avant-postes pour mieux comprendre l’épidémie : on a une scientifique spécialiste de l’étude du cerveau, qui tente de comprendre cette « maladie » au plus proche de sa source, c’est-à-dire dans la tête des rêveurs. Un data scientist, qui va étudier la propagation du phénomène à un niveau plus large, pour essayer d’en saisir les mécanismes. Un policier, qui dispose de moyens pour traquer le patient zéro de cette épidémie singulière. Et puis… un rêveur, un « mec normal », loin d’être un expert comme les autres, mais possédant avec certitude une maîtrise des mécanismes oniriques. Sans oublier, une soignante, au plus proche des répercutions physiques et psychologiques, de l’humain. Chaque personnage est essentiel pour saisir les différentes facettes de cet événement : c’est pour servir ce but que je les ai créés.
Actusf : De quelle manière avez-vous utilisé le rêve dans votre roman ? Comment avez-vous procédé ? Pourquoi utiliser les rêves, est-ce un moyen d’évasion, d’espérance ?
Elisa Beiram : Le roman est divisé en dix-huit chapitres qui correspondent à dix-huit jours, mais aussi à dix-huit nuits. Chaque nuit plonge le lecteur au cœur de la dimension onirique, dans le songe d’un rêveur contaminé, parfois un personnage de l’histoire, le plus souvent une personne au hasard. Puisque ce rêve se matérialise en même temps dans la réalité, on en entend parler dans les jours qui suivent. Côté jour, justement, les rêves qui peuplent les chapitres prennent la forme d’apparitions fantasmagoriques qui viennent troubler la notion de réalité, pour les personnages aussi bien que pour les lecteurs.
Justement, pour moi le rêve est un bon moyen de remettre en question la perception que nous avons du réel et la prise, le pouvoir que nous avons sur lui. C'est un prétexte pour exposer nos terreurs les plus intimes, mais aussi nos espoirs les plus fous, c'est à dire ce qui nous relie en tant qu'êtres humains, mais que nous n’osons pas toujours formuler, partager. Or le rêve c’est une dimension débridée, dans laquelle il n'y a pas d'inhibition, pas de norme. Parce que le rêve permet tout, j'avais envie de l'imaginer sortir du refuge de l'esprit pour s’exposer au grand jour, et voir ce qu'il avait à nous apprendre.
Actusf : Quand on parle de rêve, on pense souvent à sa/ses signification-s. Pensez-vous que les rêves jouent un rôle dans notre vie, dans les destinées ou est-ce juste quelque chose d’évanescent ? (Peut-être un rôle futur comme dans Minority Report?)
"Si je me réfère à l’avis des personnages de Rêveur Zéro, parce qu’ils nous confrontent à nos angoisses les plus intimes tout en nous dotant de tous les pouvoirs pour les affronter, les rêves nous donnent chaque nuit l’opportunité de bâtir une meilleure version de nous-mêmes."
Elisa Beiram : Je crois que les rêves essaient bien de nous dire des choses, mais quant à comprendre quoi… Je pense qu’il revient à chacun de faire ce travail d’interprétation, car il n’est pas dépendant d’un « glossaire du rêve » universel (comme peuvent tenter de le dresser la psychanalyse ou des courants plus mystiques), mais des expériences et des ressentis subjectifs. Si je me réfère à l’avis des personnages de Rêveur Zéro, parce qu’ils nous confrontent à nos angoisses les plus intimes tout en nous dotant de tous les pouvoirs pour les affronter, les rêves nous donnent chaque nuit l’opportunité de bâtir une meilleure version de nous-mêmes.
Actusf : Pourquoi choisir d’écrire de l’imaginaire ? Est-ce plus simple pour parler de certains sujets ?
Elisa Beiram : Je suis baignée d’imaginaire et je ne m’imagine pas écrire autre chose. Je lis des romans passionnants dans toutes sortes de littératures, mais pour moi il n’existe pas de genre qui ouvre autant les possibles. Effectivement, c’est plus simple pour parler de certains sujets, mais aussi pour les comprendre : une fois qu’on est allé au bout d’un concept (technique, politique, spirituel, etc.), qu’on l’a exploré dans toutes ses extrémités et tous ses extrêmes, il est plus facile de voir notre situation sous un nouveau jour. Et puis, c’est un genre plein d’images fabuleuses qui alimentent l’imagination… donc les rêves.
Actusf : Avez-vous des inspirations, des influences en particulier ? Littéraires, cinématographiques ?
Elisa Beiram : C’est une question que je trouve difficile. J’ai évidemment des influences, multiples, mais je n’ai pas écrit Rêveur Zéro en tentant de m’inscrire dans une lignée précise, et même a posteriori je ne saurais pas trop établir de parallèles avec d’autres œuvres. Quoi qu’il en soit, je suis une grande amatrice de science-fiction, en particulier les classiques littéraires tels qu’Asimov et C. Clarke, et dans les séries, Battlestar Galactica. Par ailleurs je me sens particulièrement inspirée par le surréalisme et le réalisme magique, dans la littérature sud-américaine notamment : ces atmosphères où tout est à la fois étrange et parfaitement normal. Comme dans les rêves, en somme.
Actusf : Et vous, si vous aviez un rêve qui pouvait se matérialiser, lequel choisiriez-vous ?
Elisa Beiram : Paix entre les mondes ? Comme il ne s’agit pas d’un rêve réaliste, ni socialement acceptable (allez savoir pourquoi, les Bisounours n’ont pas la côte), j’en reste au plaisir égoïste, celui de voler… ce que je tente déjà de faire à travers le parapente, mais la peur du crash étant plus prégnante que dans les rêves, la concentration l’emporte souvent sur le plaisir.
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Pensez-vous revenir dans cet univers ?
Elisa Beiram : Je travaille sur la paix, justement : Le premier jour de paix, c’est le nom de mon prochain projet. Il y est question de conflits sur Terre et de leur résolution, de Pacte Galactique, mais en aucun cas d’ingérence extraterrestre. Je travaille aussi avec un studio de jeu vidéo français, La Moutarde, sur le scénario d’un RPG qui doit sortir en 2023. Je n’ai pas prévu de revenir dans l’univers de Rêveur Zéro : le rêve vit sa vie, et moi la mienne !
Actusf : Si vous aviez un conseil à donner à ceux qui souhaitent écrire, ce serait lequel ?
Elisa Beiram : Écrire, c’est une question d’habitude. Plus on écrit… plus on écrit. Ce qui m’a aidée à venir à bout de Rêveur Zéro, c’est d’écrire tous les jours, même les jours où je n’avais pas envie, même un tout petit peu, une phrase ou deux. On ne peut pas toujours compter sur l’inspiration pour nous donner l’élan, mais ce n’est pas grave : quand on l’a bien nourrie, l’habitude prend le relais.