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Rencontre avec Feldrik Rivat pour découvrir sa nouvelle BD, Naissance du Tigre !
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Rencontre avec Feldrik Rivat pour découvrir sa nouvelle BD, Naissance du Tigre !

« Nom d’un petit Jésus, professeur… Il va falloir m’éclairer la verrine ! »

Actusf : Bonjour Feldrik et merci de reprendre la parole sur Actusf ! Pour commencer, pourriez-vous vous (re)présenter ainsi que votre parcours pour nos lecteurs ?

Feldrik Rivat : Bonjour Actusf ! Me présenter… Alors je suis Feldrik Rivat, un artiste-auteur touche à tout prêt à bondir hors du tiroir dans lequel on viendrait me ranger par mégarde ! (J’ai comme qui dirait un excès de ressorts). Ancien archéologue (préhistorien, pour être plus précis), mais aussi illustrateur naturaliste (la mise en valeur du patrimoine naturel me tient aussi à cœur), j’ai six romans au compteur, ainsi qu’une dizaine de nouvelles publiées dans diverses revues, le tout dans un genre qui m’est cher : la SSSF. J’aime à penser que chaque projet vient planter un nouveau jalon, une nouvelle borne, ou un menhir, cartographiant peu à peu un univers qui me ressemble. Enfin, pour l’heure, je chemine, allant par monts et par vaux, sans réel plan de carrière ni objectif précis : j’avance à l’instinct !

Actusf : Vous venez de publier chez les Humanoïdes Associés, avec Jean-Baptiste Hostache au dessin, une BD intitulée Naissance du Tigre. Cette intégrale s’inscrit dans l’univers développé dans vos romans La 25e Heure, initialement publiés aux éditions de l’Homme Sans Nom.
Pourriez-vous tout d’abord restituer cet univers et les romans qui y sont associés ?

Feldrik Rivat : L’univers romanesque de La 25e Heure (suivi du Chrysanthème Noir et de Paris-Capitale) nous plonge dans un Paris de la fin XIXe. Partant d’un cadre historique, le lecteur s’enfonce, au fil de l’intrigue, dans les dessous d’un monde de plus en plus fantastique, ésotérique et scientifique. Le point de pivot est la découverte, au travers d’une enquête policière, de l’existence de la vie après la mort, et du fait qu’une élite scientifique et politique maîtrise le processus et prépare une véritable révolution sociétale. En réalité, c’est la porte d’entrée d’une uchronie dans laquelle les morts les plus illustres se verraient offrir de revenir à la vie pour poursuivre leurs œuvres ! Paris-Capitale, qui se déroule 20 ans après les deux premiers romans, s’ancre cette fois-ci dans un univers steampunk assez baroque et découle de cet ambitieux projet : faire que talents d’autrefois et talents d’aujourd’hui travaillent à rendre ce monde meilleur !


Actusf : Le synopsis de cet album prend cependant un chemin un peu différent, comme une uchronie de l’uchronie précédente ? C’est assez méta !

Feldrik Rivat : Toutes les libertés ont en effet été prises lors de cette adaptation. Si le lecteur retrouve l’univers et les personnages de La 25e Heure, il découvre également une histoire complètement inédite. Après, pourquoi une uchronie dans l’uchronie ? Outre une facétie d’auteur, ce choix, tout en respectant la logique de mon univers, répond à deux contraintes techniques majeures.

La première touche à la question du volume : il était inconcevable de faire tenir le contenu d’un roman de plus de 150 000 mots en un seul album de bande dessinée. Il fallait sélectionner des morceaux choisis dans toute cette matière, avec le souci majeur d’avoir une intrigue romanesque construite à la façon d’un jeu de piste, un élément en entraînant un autre jusqu’au dénouement final. Il m’a donc fallu concevoir une toute nouvelle histoire dont tous les enjeux tenaient dans un seul double album de 104 planches.

La seconde est plus pointue. Jusqu’à présent je développais des projets « univers-centrés » ou, pour le dire autrement, des projets où je m’employais à construire un monde complexe dans lequel plonger mes personnages et mes lecteurs. Mais si le roman se prête très bien à cet exercice, la bande dessinée est rigoureusement « personnage-centré » : 100% du contenu doit se rattacher aux personnages, à leurs buts, leurs qualités, leurs défauts, leurs passés, leurs psychologies.

Je force un peu le trait par souci de clarté, mais l’essentiel est là : une histoire inédite respectant la logique de mon univers, concise et personnage-centré = une uchronie dans l’uchronie ! De surcroît, et si l’aventure se poursuit, cette pirouette me permettra de développer deux fils narratifs aux intrigues différentes entre les romans et les BD !

Actusf : Pouvez-vous nous présenter Sélène Fouquart et Eudes Anatole-Faust Lacassagne ?

Feldrik Rivat : Sélène Fouquart, jeune mère monoparentale, incarne une femme qui cherche à s’émanciper de sa condition féminine par le travail, en une fin de XIXe siècle historiquement très masculine. Elle est une scientifique, une physicienne chevronnée et travaille sur du matériel expérimental permettant d’amplifier les sens humains et, par là, de communiquer avec les morts. Une occupation qui va la placer face à un danger qui l’implique au plus haut point : le fantôme meurtrier de son ex-mari ! Eudes Anatole-Faust Lacassagne, lui, est inspecteur principal à la Sûreté de Paris. Il est un policier taiseux, méthodique et cartésien. Il porte un demi-masque comme pour dissimuler et protéger une part d’ombre, une cicatrice du passé, objet d’une colère qu’il tente chaque jour de dominer, en pratiquant l’escrime et la savate lors de combats clandestins, de préférence. Eudes est réfractaire tout à la fois aux croyances obscurantistes qui affectent la raison et aux progrès technologiques qui bouleversent l’ordre établi. Sélène Fouquart va donc venir percuter de plein fouet ses certitudes avec une affaire qui va le confronter à bien plus qu’un démon intérieur !

Actusf : Votre univers steampunk se détache de « l’habituel » steampunk victorien britannique. Était-ce un choix délibéré dès le début de l’écriture ?

Feldrik Rivat : Je confesse que, en tant qu’auteur français, j’ai parfois la sensation de vivre en état de siège face à l’omniprésence des productions anglo-saxonnes. J’ai en effet voulu, au travers de ce projet, faire honneur à notre culture, notre passé, par plaisir de faire revivre les personnalités de l’époque, de magnifier, si d’aventure c’était possible, le Paris de la Belle Époque en donnant plus de démesure encore aux rêves de grandeur de ces ingénieurs, de ces savants, explorateurs, inventeurs d’une fin de siècle qui ne promettaient rien de moins que de passer d’un immeuble en pierre de cinq étages… à la tour Eiffel. Plus que du steampunk, j’avais à cœur de retrouver ces ambiances du « merveilleux scientifique », véritables racines françaises de la SF !

Actusf : Vous brossez un tableau de personnages divers, et cela rappelle forcément bon nombre de personnalités en vue de cette époque : Eiffel, Méliès… Avez-vous effectué des recherches documentaires précises sur le sujet ?

Feldrik Rivat : Pour mes romans, oui, le travail de documentation a été très conséquent. Je voulais maîtriser au mieux la réalité historique du moment, jusqu’au détail des odeurs et des ambiances de l’époque. Gustave Eiffel, Georges Méliès, Jean-Martin Charcot, Camille Flammarion, Alphonse Bertillon, Charles Richet, le Zouave Jacob, Nadar, Mata Hari, Marie Curie : la liste des personnalités dont j’ai lu les biographies est longue ! Jusqu’aux mémoires de Marie-François Goron, le chef de la Sûreté de Paris, ou ceux, plus connus, d’Edmond de Goncourt. Dans Naissance du Tigre, conforté par ce long travail préliminaire, j’ai pu me concentrer sur mon couple de héros ! Ainsi que sur le méchant de l’histoire, un mort non content de son état, Victor Coqueret…

Actusf : Passer de l’écriture de nouvelles et de romans à celle de bande dessinée a-t-il été difficile ? La concision me semble de mise et chaque espace a son importance. Avez-vous travaillé différemment ?

Feldrik Rivat : Ça oui ! C’est peu dire que j’ai dû remiser mes habitudes de travail et mes recettes personnelles ! Tout sépare ces deux supports que sont le roman, d’un côté, et la bande dessinée, de l’autre. Un roman est destiné au lecteur, un lecteur qui devient le chef d’orchestre chargé de faire vivre cette symphonie. Écrire un roman, en ce qui me concerne, répond à un processus créatif assez solitaire, même si je sollicite au quotidien ma femme et partenaire artistique, Roznarho, et si ma copie est joyeusement amendée par mon éditeur historique, Dimitri Pawlowski. Après des années d’errements et d’apprentissage, on peut dire que je maîtrise toutes les étapes du processus, depuis l’idée première jusqu’au point final. Mais avec la bande dessinée… si les mots ne doivent en rien perdre leur puissance d’évocation, il s’agit cette fois d’écrire un scénario, un travail destiné uniquement aux mains de professionnels. Des professionnels qui attendent un support normé, métré, respectant un cahier des charges des plus précis. Éditeur et dessinateur doivent pouvoir lire dans les entrailles de la bête sans avoir des dons de nécromanciens ! Et en effet, ici nulle place pour les digressions, les réflexions intérieures, les péripéties satellitaires : chaque mot doit véhiculer une information capitale à l’adresse du dessinateur. Enfin, comme évoqué plus haut, 104 planches, c’est court et le mot « concision » est encore bien trop long !

Entamer ce projet d’adaptation a été pour moi autant un défi qu’un rêve. Le défi de progresser dans un nouveau domaine dans l’exercice de ma profession, et un rêve de gosse, ayant été dans mes jeunes années un très gros lecteur de BD. Ce projet a été rendu possible grâce à ma femme qui a su brusquer un peu ma réserve naturelle pour aller à la rencontre d’un éditeur, Bruno Lecigne, qui s’est révélé être une personne comme on en croise peu dans une vie. Immensément pédagogue, patient, précis dans ses demandes et ses attentes, il a su placer là où il le fallait les balises qui m’ont permis de traverser les brumes et d’atteindre les rives de ce nouveau monde. J’ai découvert un travail bien plus collaboratif, où l’éditeur trouve sa place bien plus en amont dans le processus créatif, en bousculant les idées, en proposant des pistes, en réclamant des travaux et des validations d’étape, en imposant des contraintes liées au format, au marché, au public. Sur le plan technique, j’entame ces jours-ci mon troisième projet de double album pour les Humanoïdes Associés et je bute encore sur les mêmes écueils, les mêmes difficultés à mettre en forme le squelette de mon intrigue : encore une fois, je suis « univers-centré », alors démarrer un projet en le basant sur la caractérisation des personnages reste un défi pour moi. Il s’agit d’aller bien plus loin qu’une simple description d’un personnage, de son passé, de ses qualités, ses travers, sa psychologie… L’intrigue, la mécanique de l’histoire doit lui coller à la peau ! Donc j’apprends, je travaille, et je sollicite toujours autant mon éditeur et son infinie patience ! Après, je prends un plaisir certain à comprendre enfin les rouages d’un scénario digne de ce nom, rouages qui me manquaient pour passer un cap dans mon travail. Je suis curieux d’intégrer ces éléments dans de nouveaux projets de romans ! (Reste à inventer la machine à fabriquer du temps…)

Actusf : Quel effet cela fait-il de voir son texte s’animer ? Quels ont été vos échanges avec Jean-Baptiste Hostache, le dessinateur ? Et que pensez-vous de l’ajout du carnet de croquis à la fin de l’ouvrage ?

Feldrik Rivat : Ça fait plaisir ! Encore une fois, c’était un rêve de gosse de faire des BD… Je suis bien passé par une école de forçats, pour ça (l’école de dessin Émile Cohl, à Lyon, pour qui connaît ou veut connaître), mais je n’ai jamais réussi à franchir le fossé entre maîtrise technique (l’acquis d’un dessin solide et académique) et moyen d’expression (un dessin et un trait personnel indispensable pour embrasser une carrière de dessinateur). En revanche, cette formation me donne aujourd’hui tous les outils pour admirer la force du dessin de Jean-Baptiste, et apprécier de quelle manière il fait virevolter les mots pour les traduire en images ! C’est (presque) intimidant ! Après, mes échanges avec lui, n’étant encore qu’un padawan, se résument à mon scénario. Bruno, une fois l’énorme travail de direction sur le plan de l’écriture, prend en charge un travail que j’imagine tout aussi intense en ce qui concerne la direction de la mise en images. De mon côté, ce processus m’aide à lâcher un peu prise sur résultat final : j’ai vite tendance à vouloir tout contrôler par peur qu’un détail ne m’échappe ! Vous l’aurez compris, l’écriture d’une BD se veut un travail bien plus collaboratif ! Reste que je suis associé aux dernières touches, avec la possibilité de faire des suggestions ou de demander des correctifs, ou, plus jouissive, celle de retravailler les textes en post-synchro pour mieux coller aux dessins de Jean-Baptiste. Mettre des mots dans les bulles : la partie visible de l’iceberg ! La seule où je peux affûter ma plume avec, en prime, des saveurs presque théâtrales…


Pour le carnet de croquis en fin d’album, personnellement, j’aime beaucoup ! Il donne un peu de croustillant supplémentaire, c’est un peu comme si on entrait dans la cuisine du dessinateur ! Et puis ces croquis en disent long sur le talent de Jean-Baptiste : il faut un sérieux coup de patte pour poser en trois traits de plume un air farouche, une posture, un caractère !

Actusf : Quels sont vos prochains projets littéraires ?

Feldrik Rivat : Pour l’heure, mon agenda est entièrement dédié à l’écriture de scénarios. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, paraît-il ! Aussi le projet suivant est déjà signé chez les Humanoïdes Associés et j’ai cru comprendre que Jean-Baptiste était très enthousiaste à l’idée de travailler dessus ! On changera d’horizon avec une histoire inspirée de l’incroyable Lady Franklin, la femme du très célèbre explorateur John Franklin parti dans le grand nord canadien avec pour mission de franchir enfin le Passage du Nord-Ouest au milieu du XIXe siècle. Personne n’est jamais revenu de cette expédition. Mais ce que l’on sait moins, c’est que Lady Franklin a réussi le tour de force de lever près de cinquante expéditions de secours à la recherche de son mari, envoyant dans les eaux glacées de l’Arctique bien plus d’hommes que l’Histoire ne saurait en supporter ! Du coup, en faisant un petit pas de côté par rapport à cette réalité historique, je propose une aventure fantastique qui aura de quoi nous glacer les sangs au sens propre comme au figuré !

Et actuellement, je travaille sur un projet que j’espère voir aboutir toujours chez les Humanoïdes Associés, avec cette fois une intrigue se déroulant au temps de la Nouvelle-France. Une histoire d’héritage qui va pousser un vieil homme à quitter la France pour gagner les confins des terres indiennes afin de retrouver un fils perdu…

Ensuite, j’espère que les conjonctures me permettront de donner une suite au Tigre ! Il me tarde de progresser dans cet univers : je ne manque pas de matière !

Actusf : Où pourra-t-on vous retrouver en dédicace ou salon prochainement, malgré la situation sanitaire ?

Feldrik Rivat : Bonne question !

Je n’avais qu’un salon de prévu cette fin d’année, Quai des Bulles à Saint-Malo. L’heure est au confinement général : je garde mon carburant en réserve pour des jours meilleurs !

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