- le  
Rencontre avec Robert Silverberg <br>(menée par Jacques Chambon)
Commenter

Rencontre avec Robert Silverberg
(menée par Jacques Chambon)

Jacques Chambon : Comment avez-vous fait pour tant écrire au cours de votre carrière et surtout avec toujours une aussi bonne qualité ?
Robert Silverberg : J'ai écrit comme tout le monde, un mot à la fois. Par contre une certaine structure de la pensée m'a permit une plus grande rapidité. J'écris d'une seule traite, sans avoir besoin de relire ni de réécrire. Mais c'est vrai que lorsque je me balade dans une librairie comme celle de ce festival et que je vois la quantité représentée par mes livres, j'ai parfois du mal à y croire.

Jacques Chambon : Au début de votre carrière, comme beaucoup d'autres auteurs, vous avez fait de " l'alimentaire ". Comment vous êtes-vous détaché de cette image pour devenir un " véritable " écrivain, reconnu pour créer des mondes et des personnages à part entière ?
Robert Silverberg : Au début, j'ai effectivement cherché à écrire ce que le public désirait lire. C'était normal, j'étais jeune et j'avais besoin de payer mon loyer. Par contre, même lorsque j'écrivais de cette manière, j'ai toujours voulu le faire du mieux possible. Je n'ai jamais bâclé mes écrits. Donc même à cette époque, j'attachais la plus grande importance à la construction de mes personnages et de leurs environnements.

Jacques Chambon : Lorsque vous étiez jeune, vous admiriez des auteurs comme Dick, Sturgeon, Kuttner ou Pohl. Quelles relations avez-vous entretenu avec eux lorsque vous avez commencé à écrire ? Sont-ils devenus des rivaux ?
Robert Silverberg : En aucun cas ils n'étaient mes rivaux mais sont restés mes héros, mes modèles. J'aspirais à atteindre le niveau de qualité de Dick, de Sheckley ou de Pohl. Nous sommes devenus des amis sans aucun sentiment de hiérarchie entre nous. Pohl par exemple est l'un de ceux qui m'a le plus poussé à sortir de l'alimentaire. Il savait pourquoi je le faisais. Il le comprenait très bien et ne me jugeait pas. Mais il m'incitait quand même à aller plus loin. Je crois que tous ces auteurs me considéraient comme un phénomène car j'étais beaucoup plus prolifique qu'eux. Ils me voyaient comme un petit prodige entêté qui leur laissait de moins en moins de place dans les magazines…

Jacques Chambon : A cette époque, une des façons reconnues d'apprendre à écrire était de copier un autre écrivain, d'écrire " à la manière de… ". Vous avez écrit de cette façon, qu'en avez vous appris ?
Robert Silverberg : J'ai essayé de copier mes amis les uns après les autres. Sturgeon a été le plus compliqué et le plus enrichissant. Il transcrivait très bien dans ses livres les sentiments humains, ce qui était très difficile à copier pour un jeune écrivain d'une vingtaine d'années n'ayant encore rien vécu. Par contre, ça m'a fait très plaisir, un peu plus vieux, de voir des jeunes commencer à écrire à la manière de Silverberg.

Jacques Chambon : Parmi votre très importante œuvre littéraire, vous avez touché à de nombreux styles, y compris au Mainstream pour votre roman Le Seigneur des Ténèbres. Pourquoi malgré tout avoir choisi d'écrire en majorité de la SF ?
Robert Silverberg : Je ne peux pas répondre à cette question. Je suis un auteur de SF : point. Même Le Seigneur des Ténèbres était un roman de science fiction pour moi. La SF est tout simplement mon mode d'expression naturel. Lorsque je pense à une histoire ou plutôt que cette histoire pense à moi, c'est toujours de la SF. Je n'ai jamais cherché à aller contre cela.

Jacques Chambon : Après avoir écrit des romans aussi marquants que Les ailes de la nuit, Le Livre des crânes, l'Oreille interne, Les monades urbaines ou encore L'homme dans le labyrinthe, vous vous êtes arrêté d'écrire pendant 5 ans. Cela a surpris tout le monde puisqu'on vous surnommait même " la machine à écrire ". Que vous est-il arrivé à ce moment là ?
Robert Silverberg : Il y a deux raisons à ça. Tout d'abord, je crois que j'étais très fatigué. Tous ces livres que vous avez cités sont mes préférés et je les ai tous écrit en cinq ans. J'étais comme brûlé. Après une telle période de concentration et de travail acharné, j'avais besoin d'un break. Ensuite, même si ces livres ont soulevé l'enthousiasme en France, ils n'ont été que très peu appréciés aux Etats-Unis. J'en arrivais à être fatigué de travailler pour un lectorat qui n'appréciait pas ce que je faisais sans savoir pourquoi. Cette période m'a permis de comprendre que je pouvais être autre chose qu'un auteur de SF. Je n'étais pas obligé d'écrire pour continuer à vivre. Je pense que c'était une interruption nécessaire après un tel niveau d'intensité de travail. C'est grâce à cet arrêt que j'ai pu revenir. Cependant c'est toujours ces livres que l'on me demande de dédicacer.

Jacques Chambon : Vous êtes effectivement revenu après . Et quel retour puisque vous avez recommencé avec les deux trilogies du cycle de Majipoor, entrecoupées de nouvelles et de romans, pour en arriver aujourd'hui à votre dernier roman " Roma Eterna " qui devrait arriver en France dans deux ou trois ans. Toutefois, beaucoup se demandent encore ce qu'un auteur aussi prolifique que vous a pu faire pendant ces 5 ans d'arrêt total ?
Robert Silverberg : Des choses essentielles comme voyager, vivre en Californie, jardiner, lire, avoir des aventures amoureuses, marcher dans la montagne, bref, des tas de choses différentes que d'écrire de la Science Fiction. C'est comme si j'avais pris ma retraite au milieu de ma vie : cela m'a permis d'avoir une seconde partie de vie littéraire tout aussi créative que la première.

QUESTIONS DU PUBLIC

Question 1 : Quelles différences faites-vous entre écrire de la fantasy et écrire de la SF ?
Robert Silverberg : Pour moi c'est la même chose, je ne fais pas de différence entre les genres. Je me contente juste d'appliquer la même méthode tout le temps : " si je décide qu'il se passe ça, qu'est ce qu'il peut arriver ensuite ? "

Question 2 : Pensez-vous continuer à écrire après votre mort ?
Robert Silverberg : Pendant mon interruption de cinq ans, j'ai visité le musée Picasso à Antibes. Toutes les œuvres qui y sont exposées ont été réalisées en une seule année, en 1946. J'ai alors imaginé que Picasso m'interpellait : " Je suis mort et pourtant je peins encore. Toi, tu es en pleine santé et tu as cessé d'écrire. Tu n'as pas honte ? "

Question 3 : Le voyage dans le temps est l'un des sujets de prédilection de vos romans et nouvelles. Pourquoi cet intérêt ? Est-ce une sorte de quête de l'éternité ou un simple exercice de style ?
Robert Silverberg : En tous cas sûrement pas un simple exercice de style. Le voyage dans le temps peut avoir deux significations suivant la direction qu'il prend. Lorsqu'il part vers le futur, il s'agit effectivement de vaincre la mortalité. Y envoyer mes personnages est une manière de tromper la mort. Lire les récits de Wells et de Verne a changé ma vie. Leurs histoires de voyages temporels résument le mieux ce qui me fascine le plus dans la SF. Par contre la signification est différente lorsqu'il part vers le passé. J'ai toujours été passionné d'histoire et d'archéologie. Envoyer mes personnages dans cette direction me permet, pendant un moment, de faire vivre plus intensément dans mon esprit ces périodes que j'étudie.

Question 4 : Pensez-vous que les écrivains de SF soient des sortes de passages entre deux mondes ? Qu'ils permettent aux gens de découvrir une autre réalité ?
Robert Silverberg : Les écrivains de SF sont peut-être plus inspirés que la plupart des gens sur ces passages mais je ne pense pas qu'ils soient ces passages. Par exemple, je crois profondément que nous ne sommes pas seuls dans l'univers. Mais ce n'est pas pour autant que les extra-terrestres sont venus me voir en premier, ni même que je pense qu'ils sont déjà venus nous rendre visite. J'ai peut-être juste un peu plus songé que les autres à ce qu'il se passera le jour où ils arriveront.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?