Fille d’un anthropologue et d’une auteure d’ouvrages pour enfants, Ursula Kroeber, plus connue sous le nom d’Ursula K. Le Guin, s’est naturellement tournée, après des études littéraires, vers la poésie, les contes exotiques, le fantastique et la science-fiction ethnologique. En rompant avec les schémas traditionnels en vigueur avant les années 60 (science triomphante, conquête et combats, action prédominante, machisme), elle a marqué l’histoire de la science-fiction et de la fantasy de son empreinte poétique et humaniste.
On a souvent opposé son optimisme au catastrophisme de la SF et à la noirceur de la fantasy. On a même accusé ses romans de n’être que « de la philosophie déguisée » (merci pour la philosophie) et de ne pas être d’authentiques œuvres de SFF. Aujourd’hui, la polémique n’a plus court. Notre auteure a inspiré de nombreux créateurs postérieurs et ses romans, des classiques, sont résolument modernes tant ses personnages mythiques sont humains et traversés de questions universelles.
Puisque, selon la tradition scandinave, la saga est un récit en prose rapportant la vie d’un personnage digne de mémoire, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, c’est bien une véritable saga du mage Ged, dit l’Epervier, qu’Ursula Le guin entreprend de nous relater. Une saga à trois temps dans Terremer qui regroupe trois romans parus précédemment séparément : Le Sorcier de Terremer, Les Tombeaux d’Atuan, L’Ultime Rivage. Une saga à cinq ou six temps si l’on y ajoute les prolongements ultérieurs : Ténahu, Le Vent d’ailleurs et Les Contes de Terremer.
La magie d’un sage
Ged est un sorcier de Gont, une île de Terremer fertile en magiciens. Un sorcier puissant envoyé à l’école des sorciers de Roke pour parfaire sa maîtrise des arts magiques et assurer sa fonction de chasseur de dragons. Au cours de son initiation, il sera confronté à sa propre volonté de puissance et son jeu prématuré avec la mort lui vaudra une longue poursuite maritime avec son ombre. Et un long mais utile apprentissage de la sagesse.
En terre Kargade, Tenar prend peu à peu ses fonctions de grande prêtresse du temple des dieux-jumeaux, gardienne du culte des Ténébreux, et devient Arha, l’actrice principale de la plus célèbre des quêtes de Ged : la reconstitution de la rune perdue grâce à l’anneau d’Erreth-Akbe. C’est grâce à Arha que Ged parvient à déjouer les pièges du Labyrinthe des tombeaux d’Atuan et à ramener la paix à Terremer.
En compagnie d’Arren, fils du prince d’Enlade et jeune héritier de la principauté de Morred, Ged, devenu Archimage, grand maître des sorciers de Terremer, doit enrayer le déclin progressif des forces magiques et, au terme d’un long périple nautique, refermer la béance maudite du royaume des morts, tragique et improbable passage vers le monde des vivants.
Et si le monde mourait ?
C’est dans l’adversité que se forge la personnalité. Et plus les épreuves sont dangereuses, plus l’humain en sort, s’il s’en sort, grandi. Ursula K. Le Guin n’hésite pas à soumettre ses héros aux pires supplices (noyade, ensevelissement, faim, esclavage, angoisse paroxystique de la mort) pour les endurcir et leur faire perdre toute illusion. L’amour n’est pas une solution : Ged ne convole pas avec Arha, Arren ne trouve pas de dulcinée. Le pouvoir n’est qu’un leurre : Ged renonce à la charge d’Archimage, Arha préfère la liberté à la puissance. La connaissance n’est qu’un moyen, pas une fin : les voyages, véritable métaphore de la découverte et de l’apprentissage dans l’univers-îles de Terremer, prendront fin avec le parcours de l’ensemble du territoire (Nord, Centre, Sud-Est dans le premier chapitre, Est, dans le second, Sud, Ouest et Centre dans le troisième).
Si, dans Terremer, l’adversité et les voyages sont les véritables instruments de la conquête de la sagesse, ils ne sont que les péripéties de destins burinés, depuis des temps immémoriaux, dans la roche du mythe. La sagesse de Ged est celle d’un homme qui, conscient de sa destinée, n’en est pas le vrai acteur. Ged ne juge pas les autres, parce qu’ils ne sont pas non plus responsables de leurs actes. Est-ce Arha ou Arren qui croise sa route ou lui-même qui croise la leur ? Les héros de Terremer sont des solitaires, observateurs plus qu’acteurs du monde, parce qu’ils sont morts-vivants, nés prédestinés, prisonniers de leur propre mythographie. Et c’est la raison pour laquelle ils sont tant obsédés par la mort et sa frontière avec la vie : l’ombre de Ged, les morts successives dans le labyrinthe et la brèche entre les deux mondes.
Une intrigue filiforme, absence d’actions spectaculaires (pas de combat), peu de rebondissement, les héros sont les jouets du vent, des courants marins et de leur intuition immédiate. Cette carence apparente est d’une des grandes richesses de l’ouvrage : confrontés à leur être pur et réduits à une communication rustique avec leurs semblables dans des situations authentiques, les personnages atteignent une certaine spiritualité. Leur détachement les conduit à s’interroger sur eux-mêmes, sur leurs angoisses, sur leur humanité, sur l’humanité, sur les forces magiques et sur l’univers environnant. L’ataraxie du mouvement n’est pas quiétude de la pensée. Plus encore que les voyages en mer, la traversée des sensations, des humeurs et des mythes est captivante et servie par un style limpide et rayonnant. Un vrai régal. Autre trait qui la rapproche de l’universel, l’auteure excelle dans la peinture des gestes anodins, des idées simples et dans leur élévation à une dimension supérieure : la transcendance du quotidien.
Optimiste, Ursula ? Dans un monde privé de déités salvatrices (les plus grands héros se retrouvent au royaume neurasthénique et glacé des morts), il n’y a d’autre salut que dans la légende. Vivons apaisés en attendant la mort... Le reste est réglé par la destinée. Pas d’exubérance, pas de larmoiement, un romantisme rentré et surcompensé. Au mieux, un pessimisme sain bien tempéré. Avatar d’un monde éclaté et clos. L’inquiétude sourde d’une humanité immature qui entrevoit indistinctement la possibilité de sa propre fin dans le seul giron de sa Terre-mère.
On a souvent opposé son optimisme au catastrophisme de la SF et à la noirceur de la fantasy. On a même accusé ses romans de n’être que « de la philosophie déguisée » (merci pour la philosophie) et de ne pas être d’authentiques œuvres de SFF. Aujourd’hui, la polémique n’a plus court. Notre auteure a inspiré de nombreux créateurs postérieurs et ses romans, des classiques, sont résolument modernes tant ses personnages mythiques sont humains et traversés de questions universelles.
Puisque, selon la tradition scandinave, la saga est un récit en prose rapportant la vie d’un personnage digne de mémoire, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, c’est bien une véritable saga du mage Ged, dit l’Epervier, qu’Ursula Le guin entreprend de nous relater. Une saga à trois temps dans Terremer qui regroupe trois romans parus précédemment séparément : Le Sorcier de Terremer, Les Tombeaux d’Atuan, L’Ultime Rivage. Une saga à cinq ou six temps si l’on y ajoute les prolongements ultérieurs : Ténahu, Le Vent d’ailleurs et Les Contes de Terremer.
La magie d’un sage
Ged est un sorcier de Gont, une île de Terremer fertile en magiciens. Un sorcier puissant envoyé à l’école des sorciers de Roke pour parfaire sa maîtrise des arts magiques et assurer sa fonction de chasseur de dragons. Au cours de son initiation, il sera confronté à sa propre volonté de puissance et son jeu prématuré avec la mort lui vaudra une longue poursuite maritime avec son ombre. Et un long mais utile apprentissage de la sagesse.
En terre Kargade, Tenar prend peu à peu ses fonctions de grande prêtresse du temple des dieux-jumeaux, gardienne du culte des Ténébreux, et devient Arha, l’actrice principale de la plus célèbre des quêtes de Ged : la reconstitution de la rune perdue grâce à l’anneau d’Erreth-Akbe. C’est grâce à Arha que Ged parvient à déjouer les pièges du Labyrinthe des tombeaux d’Atuan et à ramener la paix à Terremer.
En compagnie d’Arren, fils du prince d’Enlade et jeune héritier de la principauté de Morred, Ged, devenu Archimage, grand maître des sorciers de Terremer, doit enrayer le déclin progressif des forces magiques et, au terme d’un long périple nautique, refermer la béance maudite du royaume des morts, tragique et improbable passage vers le monde des vivants.
Et si le monde mourait ?
C’est dans l’adversité que se forge la personnalité. Et plus les épreuves sont dangereuses, plus l’humain en sort, s’il s’en sort, grandi. Ursula K. Le Guin n’hésite pas à soumettre ses héros aux pires supplices (noyade, ensevelissement, faim, esclavage, angoisse paroxystique de la mort) pour les endurcir et leur faire perdre toute illusion. L’amour n’est pas une solution : Ged ne convole pas avec Arha, Arren ne trouve pas de dulcinée. Le pouvoir n’est qu’un leurre : Ged renonce à la charge d’Archimage, Arha préfère la liberté à la puissance. La connaissance n’est qu’un moyen, pas une fin : les voyages, véritable métaphore de la découverte et de l’apprentissage dans l’univers-îles de Terremer, prendront fin avec le parcours de l’ensemble du territoire (Nord, Centre, Sud-Est dans le premier chapitre, Est, dans le second, Sud, Ouest et Centre dans le troisième).
Si, dans Terremer, l’adversité et les voyages sont les véritables instruments de la conquête de la sagesse, ils ne sont que les péripéties de destins burinés, depuis des temps immémoriaux, dans la roche du mythe. La sagesse de Ged est celle d’un homme qui, conscient de sa destinée, n’en est pas le vrai acteur. Ged ne juge pas les autres, parce qu’ils ne sont pas non plus responsables de leurs actes. Est-ce Arha ou Arren qui croise sa route ou lui-même qui croise la leur ? Les héros de Terremer sont des solitaires, observateurs plus qu’acteurs du monde, parce qu’ils sont morts-vivants, nés prédestinés, prisonniers de leur propre mythographie. Et c’est la raison pour laquelle ils sont tant obsédés par la mort et sa frontière avec la vie : l’ombre de Ged, les morts successives dans le labyrinthe et la brèche entre les deux mondes.
Une intrigue filiforme, absence d’actions spectaculaires (pas de combat), peu de rebondissement, les héros sont les jouets du vent, des courants marins et de leur intuition immédiate. Cette carence apparente est d’une des grandes richesses de l’ouvrage : confrontés à leur être pur et réduits à une communication rustique avec leurs semblables dans des situations authentiques, les personnages atteignent une certaine spiritualité. Leur détachement les conduit à s’interroger sur eux-mêmes, sur leurs angoisses, sur leur humanité, sur l’humanité, sur les forces magiques et sur l’univers environnant. L’ataraxie du mouvement n’est pas quiétude de la pensée. Plus encore que les voyages en mer, la traversée des sensations, des humeurs et des mythes est captivante et servie par un style limpide et rayonnant. Un vrai régal. Autre trait qui la rapproche de l’universel, l’auteure excelle dans la peinture des gestes anodins, des idées simples et dans leur élévation à une dimension supérieure : la transcendance du quotidien.
Optimiste, Ursula ? Dans un monde privé de déités salvatrices (les plus grands héros se retrouvent au royaume neurasthénique et glacé des morts), il n’y a d’autre salut que dans la légende. Vivons apaisés en attendant la mort... Le reste est réglé par la destinée. Pas d’exubérance, pas de larmoiement, un romantisme rentré et surcompensé. Au mieux, un pessimisme sain bien tempéré. Avatar d’un monde éclaté et clos. L’inquiétude sourde d’une humanité immature qui entrevoit indistinctement la possibilité de sa propre fin dans le seul giron de sa Terre-mère.