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Total Recall - L'analyse
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Total Recall - L'analyse

Total Recall

Basé sur : « Souvenirs à vendre » (« We Can Remember It for You Wholesale », publiée en 1965)

Réalisateur : Paul Verhoeven

Sortie : 1990

Synopsis : En 2048, sur Terre, un terrassier Douglas Quaid est hanté chaque nuit par le même rêve martien. Contre l'avis de sa femme, il a recours aux services de la société Rekall qui lui propose de greffer de faux souvenirs. Il choisit ceux des aventures d'un agent secret contribuant à la libération de Mars. Mais l'opération se déroule mal : on lui a déjà implanté de faux souvenirs ! La seule solution pour lui est de s’y rendre et de trouver qui il est vraiment. À moins qu'il ne soit simplement fou.

Commentaire : Remplaçons l'angoisse existentielle d’Harrison Ford par une montagne de muscles, l'obsession graphique de Ridley Scott par la mise en scène brutale d'un Hollandais violent.

En 1974, Ronald D. Shusett et Dan O'Bannon travaillent sur un projet qui deviendra bientôt Alien. Quand le film triomphe en salles, ils sont en mesure d'attirer aisément l'attention des studios sur un projet d’adaptation : Total Recall. Disney les embauche un temps pour œuvrer sur ce scénario. Puis c’est le producteur Dino De Laurentiis qui reprend l'option à Disney. En 1983, un article de la revue American Film liste Total Recall au nombre des meilleurs scénarios non produits.

En 1984, le réalisateur canadien David Cronenberg vient de signer son premier succès public et critique avec une adaptation magistrale de Stephen King, Dead Zone. Il travaille à son tour sur le scénario (ou plutôt sur la douzaine qu’il supervise). Le projet devient à ses yeux très personnel, ce qui inquiète un peu les producteurs. Des traces de ses idées subsisteront dans le personnage du mutant Kuato, ou encore dans le choix final de Quail de ne pas redevenir Hauser. Le film prend progressivement de l'ampleur, la venue de l'acteur Richard Dreyfuss, entraîne une même une courte période de pré-production. Tout s’arrête, le producteur recule au dernier moment, ne croyant plus dans la capacité de Cronenberg à faire un film rentable et grand public.

Le metteur en scène australien, Bruce Beresford arrive à la rescousse. De Laurentiis l'a embauché parce qu'il voulait un regard neuf pour sortir le film de l'impasse. Tout cela commençait à lui coûter cher... sans qu'aucune perspective de lancer le tournage n'apparaisse ! En mars 1987, un scénario est enfin achevé. Des décors sont construits en
Australie et Patrick Swayze doit incarner le personnage de Doug Quail. Là encore, le projet capote au dernier moment, et pour cause ! En décembre 1987, par un tour dont le destin a le secret, le De Laurentiis Entertainment Group fait faillite !

Arnold Schwarzenegger a alors un coup de cœur pour le scénario qui passe entre ses mains. L’acteur cumule les succès au box-office. Il a le poids suffisant pour pouvoir choisir et lancer ses propres projets. Il convainc la société Carolco d'acheter les scripts existants ainsi que l'ensemble des travaux de production déjà réalisés. En 1988,
Arnold Schwarzenegger contacte Paul Verhoeven. Il veut collaborer avec lui et il l’impose comme metteur en scène aux producteurs Mario Kassar et Andrew Vajna.

Sous sa supervision, un nouveau scénariste Gary Goldman est embauché pour tirer quelque chose de cohérent de la trentaine de scripts qui s'étaient accumulés depuis plus de dix ans. Le personnage principal devient Quaid afin d'éviter une confusion avec le Vice-Président américain du moment, Dan Quayle. Le scénario est largement réécrit pour la personnalité physique et médiatique d’Arnold et se transforme un film d’action survitaminé.

Le tournage commence en avril 1989, à Mexico. Verhoeven est rapidement en conflit ouvert avec les producteurs qui ne cessent de lui demander de diminuer son budget et de couper des scènes. Il est même un temps renvoyé, et force l'entrée du plateau pour continuer le tournage envers et contre tout. Grâce à l'appui inconditionnel de Schwarzenegger qui menace d’abandonner le tournage, il reste finalement à la barre. C’est lui qui réduit les dialogues qu’Arnold ne parvient pas à délivrer et qui adapte sans cesse le scénario pour coller au plus près de ce que son acteur peut faire. À sa sortie, Total Recall est un triomphe au box-office, quadruplant l’investissement initial…

En l'état le film réussit la gageure d'être à la fois un véhicule parfaitement formaté pour le public fidèle d’Arnold tout en offrant quelques belles séquences dickiennes, ne serait-ce que la dernière réplique, juste avant un étonnant fondu au blanc final… Le spectacle est total, certains effets spéciaux sont inédits à l’époque, la violence extrême.

Mais Verhoeven a été nettement plus roublard qu’il n’y paraît. Bien avant Starship Troopers, il contamine de l’intérieur son film par un message politique, qui à défaut d’être fin et subtil, détourne et enrichit les codes du genre. La violence qui jaillit à l’écran n’est pas que sanglante. Cohaagen, l’administrateur de Mars, n’hésite pas à condamner à mort la population martienne par asphyxie afin de maintenir sa mainmise sur la planète. Tandis que le modèle même du surmâle hollywoodien est longuement détourné dans de multiples séquences. Verhoeven aime la satire et on ne peut s’empêcher d’y voir une critique, dissimulée derrière les coups de poing et les rafales d’armes automatiques, de l’impérialisme économique sauvage.

Bien sûr le film n’a pas la puissance sarcastique de RoboCop ou de Starship Troopers. Pourtant l’ironie est belle et bien présente, nourrissant d’intéressants sous-textes, réalisant une fusion captivante entre film d’action et critique sociale, fabriquant au passage d’étranges scènes qui sont entrées tels quel dans l’imaginaire collectif.

Peut-être que l’ironie finale réside dans le corps même d’Arnold, à la fois star hollywoodienne aux convictions conservatrices et véhicule improbable des idées libertaires de son réalisateur auquel il s’abandonne. Le personnage disparaît derrière l’acteur et le fantasme viril qui se greffe sur lui. À ce titre, la première partie du film est peut-être la plus convaincante, alors que l’esthétique accuse son âge. Elle correspond aux épisodes où Quaid est fragile, amoureux d’une Sharon Stone dont il ignore la duplicité.

Le monde de Total Recall est une dystopie, entre une Terre coloniale et des colons martiens opprimés. D’ailleurs c’est le moment où Quail quitte la Terre pour rejoindre Mars que le film abandonne la nouvelle originale pour explorer des directions diverses tout en conservant ce qui en constitue le cœur : le rapport entre la mémoire et le réel, le rêve et la réalité. En effet la texte de Dick repose sur le thème des souvenirs fictifs (avec une chute brillante, mais fort peu cinématographique). Ce qui n’est pas sans rappeler Blade Runner : à une différence près : dans Blade Runner la mémoire est la base de la personnalité des Répliquants, le socle sur lequel elle se construit, tandis que dans Total Recall on devient littéralement quelqu’un d’autre quand on change de souvenirs, de l’innocent Quail au cruel Hauser et inversement.

Quand, après avoir restauré l’atmosphère de Mars, après avoir abattu son gouvernement oppressif, le héros peut enfin embrasser la rebelle Melina, Quail s’interroge « What if this is a dream? » La jeune femme de lui répondre « Well, then kiss me quick before you wake up. » Le spectateur a alors le choix, tandis que l’écran vire au blanc : est-ce que je viens de voir un happy ending dont l’absurdité est conforme au genre du film, ou est-ce que le personnage meurt sous mes yeux et j’assiste impuissant à la fin de son rêve et à la mort cérébrale qu’on lui avait promise ?

Pour conclure, et peut-être pour faire taire le débat sur la différence entre le texte et le film, n’oublions pas la fameuse scène de la goutte de sueur, scène tellement dickienne que certains la cherchèrent dans ses romans ! La mise en scène de Verhoeven place son protagoniste devant des miroirs, instaurant ainsi d’emblée le thème du double qu’il accentue par un montage rapide et parallèle entre le personnage de Quaid et celui du docteur Edgemar. Ce dernier veut le convaincre de revenir à la réalité, que tout ce qu’il expérimente n’est qu’une illusion, qu’il est toujours dans les locaux de Rekall et qu’il risque de mourir s’il ne réagit pas. Tout ce qu’il a à faire est de prendre une gélule qui incarne son acceptation du réel. Mais est-ce un simple symbole ou du poison ? Or Edgemar transpire, révélant à Quaid qu’il se trouve bel et bien dans la réalité, contrairement à ce qu’on lui affirmait. Il est bien connu qu’il n’est pas possible de rêver d’une goutte de sueur, n’est-ce pas ? (fondu au blanc pendant que vous réfléchissez à la réponse)

En 2012 est sorti un remake, signé Len Wiseman avec Colin Farrell dans le rôle de Douglas Quaid. Philip K. Dick n’est plus cité au générique, le film n’étant pas une adaptation de son œuvre.

Après la sortie de Total Recall, nous n’avons pas eu que des chefs-d’œuvre, loin de là. D’ailleurs l’éventail des films dickiens couvre tout l’empan du cinéma, du monument au film tout aussi inutile que le temps perdu à le regarder. De quoi ce film est-il l’objet ? Un remake qui penche plus du côté de Blade Runner que de Total Recall, qui bégaye le scénario original sans avoir rien à dire d’autre que « pourquoi avoir fait ce film ? »

Certes, l’idée d’une Terre scindée en deux, une Metropolis à l’échelle planétaire plaçant les nantis et leur confort sur un hémisphère et les forces prolétariennes et leurs souffrances de l’autre est assez plaisante et la « Chute », le tunnel gigantesque qui traverse la Terre offre de belles images.

Nous retrouvons alors dans un cadre strictement terrien (et ostensiblement Bladerunnerien) la même intrigue que celle du film original. Le tout est assez paradoxalement bien moins subtil. Car si le long métrage joue la carte du film d’action, les répliques à double sens sur le rêve et la réalité tombent bien souvent à plat.

Une version longue est sortie, ajoutant notamment un plan final qui indique que Quaid est dans le monde des rêves et qu’il choisit d’y rester. Cela fait bien longtemps que le spectateur l’avait compris, le personnage passant le film poursuivi par des androïdes aussi sophistiqués qu’incapables de toucher une seule fois leur cible.

 
Etienne Barillier

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