- le  
Traduction - Le style et l'expérience
Commenter

Traduction - Le style et l'expérience

Actusf : Parlons un peu de « style ». C'est souvent la grande question pour les traducteurs. Comment gérez-vous cet aspect de la traduction ?
Arnaud Mousnier-Lompré : Au pifomètre ! Je me réfère au style de l'auteur et je tâche de le transcrire en français dans la mesure du possible. Avec Robin Hobb, c'est facile, elle a un style clair, presque 19ème siècle (en plus léger, Dieu merci), qui me convient très bien ; dans la série Traquemort que je traduis pour l'Atalante, l'auteur a un parti-pris humoristique, une vivacité d'expression qui ne sont pas toujours aisés à rendre, mais c'est un défi que j'aime relever.

Jean-Daniel Brèque : Je travaille entièrement au feeling. Ce qui me navre, car si je pouvais mieux analyser mon écriture (ou plutôt la façon dont je m’adapte à celle de l’auteur), j’aurais moins d’angoisses. Ellison dit que pour être écrivain, il faut « entendre la musique ». Je pense que j’arrive à capter cette musique et à la restituer correctement, tout en respectant le sens. Mais c’est plus intuitif que raisonné.

Mélanie Fazi : Je crois que c'est quelque chose d'assez instinctif, en fait. Toute la difficulté consiste à essayer de « sentir » le style et de s'y fondre ensuite pour réécrire le texte à la façon de l'auteur, mais dans une langue qui fonctionne différemment. C'est un travail qui se fait sur l'ensemble du texte, plutôt que phrase par phrase : paradoxalement, on peut s'éloigner énormément de la structure des phrases tout en produisant une traduction qui restitue le rythme, le vocabulaire, les niveaux de langue. J'ai même de plus en plus l'impression que cet éloignement est nécessaire, puisque le français et l'anglais sont deux langues si différentes. Un effet qui fonctionne en anglais tombera à plat si on ne l'adapte pas aux exigences de la langue française (parfois au prix de pas mal de contorsions).

Pour ce qui est de Graham Joyce, son style a plusieurs particularités que je trouve intéressantes. D'abord, ses dialogues sont souvent brillants et jouent beaucoup sur les registres de langue, surtout quand ses personnages appartiennent à différentes classes sociales. C'est assez ludique à traduire. Je me suis bien amusée avec les dialogues des hippies ou de Maman Cullen dans Les Limites de l'enchantement par exemple. Ensuite, j'ai remarqué qu'il adopte deux voix différentes dans ses récits. Une qui est plus simple, plus narrative, et une autre qu'il réserve à des envolées qui ont un souffle bien particulier. L'exemple le plus marquant pour moi, c'est la scène du bombardement de Coventry dans Lignes de vie. Dans ce passage-là, j'ai vraiment essayé de faire un travail sur le rythme et la concision pour garder le souffle de l'original. J'avais l'impression que tout le passage tomberait à plat s'il y avait ne serait-ce qu'une syllabe en trop pour casser le rythme.

Actusf : Jean-Daniel Brèque nous disait sur le forum d'Actusf que justement, plus il avançait et plus c'était compliqué pour lui parce que plus il essayait de respecter au mieux le style de l'auteur. Est-ce que pour vous c'est la même chose ?
Arnaud Mousnier-Lompré : Oui, c'est vrai pour moi aussi ; d'un autre côté, je travaille depuis des années sur les mêmes auteurs – Robin Hobb, Orson Scott Card et Simon Green – et je finis par connaître leurs styles respectifs quasiment par cœur. Le problème serait certainement plus ardu si j'avais à traduire un auteur que je ne connais pas.

Jean-Daniel Brèque : Le problème, c’est la documentation. Quand je traduisais Les Larmes d’Icare, j’habitais à Paris et j’ai eu la bonne idée d’emprunter à la bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie un bouquin qui s’appelait, si mes souvenirs sont bons, The Aerospace Handbook. C’était un dictionnaire des termes d’aéronautique et d’astronautique en quatre langues : français, anglais, allemand, espagnol. Grâce à ce fabuleux outil, j’ai pu traduire tous les termes (et les sigles) spécialisés utilisés par Simmons. Aujourd’hui, grâce à l’Internet, je n’ai plus besoin d’aller dans une bibliothèque : ce genre d’information se trouve sans problème. Mais c’est justement parce que je pressens que la Toile va m’aider à répondre aux questions que je me pose que je soigne la partie « recherches » encore plus qu’avant. J’ai l’impression que, de nos jours, le traducteur n’a plus de droit à l’erreur. D’autant plus que les lecteurs ont eux aussi la possibilité de se documenter et qu’ils ne se privent pas de nous signaler les bourdes…

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?