Une des meilleures plumes de la science-fiction française
Jean-Claude Dunyach, dans le civil ancien employé d’Airbus, publie depuis le début des années 80 des récits qui ont enthousiasmé autrefois l’auteur de ces lignes. Ainsi on lui doit la nouvelle Déchiffrer la trame qui remporta en 1998 le grand prix de l’imaginaire et ses meilleures histoires courtes ont été réunies dans des recueils comme Autoportrait (Denoël, 1986) pour le plus ancien ou Le clin d’œil du héron pour le plus récent (L’Atalante, 2016). Du côté des romans, on lui doit le cycle des « Animauxvilles », initialement publié dans la collection Anticipation du Fleuve noir, et qui a culminé avec Etoiles Mourantes, coécrit avec Ayerdhal (J’ai lu, 1999). Il revient ici avec Trois hourras pour Lady Évangeline, d’abord publié sous forme de novella dans le numéro 58 de Bifrost. On va vite voir que ça décoiffe…
Un père et une fille en crise, une menace alien et des insectes
Le Temps Incertain est un des meilleurs vaisseaux en circulation, bien armé et doté d’un équipage bien entraîné. Pourtant, au voisinage de la planète Esmeralda, il entre en contact avec un nuage galactique qui le réduit en purée en un rien de temps. Les rares survivants ne vont pas tarder à rapporter leur histoire. Pendant ce temps, la jeune Évangeline, fille d’un diplomate de renom, est expédié sur une planète école, Enertia, après une liaison torride avec une jeune femme – visiblement, le futur a vu ici la victoire de ténors anti gay, le mariage pour tous est oublié.
Voilà qu’Enertia est envahie par des insectes qui viennent à bout des humains… A part Évangeline qui survit calfeutrée dans un premier temps, avant d’être découverte par les insectes. Séduit par sa féminité, ils en font leur reine (l’originale a été tuée) quitte à faire muter son corps. Mais Évangeline sait que sa situation est instable : trop humaine, elle ne peut renouveler la colonie et une nouvelle reine a déjà été pondue. Donc elle s’enfuit, via une navette qui la ramène… vers un vaisseau diplomatique en route vers la planète Esmeralda et où se trouve son père. Même si elle est devenue obèse, il la reconnaît et lui expose au bout du compte son problème avec ce nuage. Et si Évangeline, de par son expérience, pouvait devenir une solution pour dialoguer avec cette intelligence extraterrestre ? Le pas est vite franchi.
Un roman qui secoue
Pour lire Trois hourras pour Lady Évangeline, il faut avoir le cœur accroché. Dunyach décrit une mutation (symbole de l’adolescence) quand la jeune fille devient la reine des insectes, phénomène décrit ici cliniquement, au point de répugner un lecteur lambda (et pas que : pour autant, l’auteur l’a peut-être voulu ainsi). Devenue « notre dame des blattes », Évangeline se révèle une clef pour résoudre un problème de premier contact avec une intelligence extraterrestre à cause de son expérience (les insectes aliens aident-ils à comprendre un nuage de gaz galactiques ? Vous avez quatre heures). À première vue, cela paraît vaseux, voire dégoûtant mais le talent de l’auteur fait tout, fidèle aussi à une thématique du corps et de la chair initiée dans le cycle des « Animauxvilles ». On saluera ici l’exercice de style (car Dunyach est un grand styliste).
Sylvain Bonnet