« Avec Underground Airlines, j'ai vraiment creusé le sillon de l'histoire alternative : j'ai situé mon livre dans l'Amérique contemporaine, mais une Amérique dans laquelle la guerre de Sécession n'a pas eu lieu. »
Ben H. Winters est un américain moyen, blanc, qui ne sera jamais victime des crimes dont il parle. Il dit raconter l’Histoire des Etats-Unis, de la violence de l’Etat ou des citoyens à l’égard des noirs. Une uchronie qui touche au réalisme de façon saisissante.
Voici trois raisons (et plus) de lire cet ouvrage aujourd'hui.
Un passé poignant
Victor est noir, c'est un ancien esclave contraint de traquer ceux qui fuient les plantations et les usines dans lesquelles ils sont exploités pour gagner le refuge du Nord. En effet, quatre États du Sud des États-Unis n’ont pas aboli l’esclavage et vivent sur l’exploitation de la détresse humaine.
Son passé hante ses jours et ses nuits. Celles et ceux qu’il a laissés, son frère Castle qui lui racontait des histoires pour ne pas laisser la mémoire fuir, ses expériences traumatisantes, brutales, sales. « Une mélasse de mauvais souvenirs ».
L’auteur tape là où ça fait mal. Il fait de ces quelques pages du passé une version très visuelle, douloureuse, à fleur de peau, avec une évocation riche et pourtant courte de la première vie de Victor.
Un présent violent
Victor est empêtré dans ses contradictions : obéir aujourd’hui à ceux qui le font bosser, les U.S. Marshals, et survivre ou dénicher la vérité de ce qui passe vraiment dans ce Sud maudit et, peut-être, périr.
L’origine du mal est là, dans ce qu’il nous raconte, dans ce qu’il vit en quelques jours seulement, dans ce qu’il va découvrir.
Il va mettre un coup de pied dans une fourmilière de violence et jouer le jeu des parties en présence pour aller au bout de son parcours.
Victor est touchant parce qu’il lutte pour lui et ses anciens compagnons « Travailleurs Attachés » avec une dose d’inconscience matinée de volonté trempée.
L’auteur nous délivre une intrigue faite de rebondissements, où notre « héros » ne doit se fier à personne. Il distille les éléments savamment, entre réflexion sociale et combats dignes d’un des meilleurs films d’action.
Pour un autre futur ?
Il ne faudrait pas oublier la figure féminine de cette lutte, Martha, qui va joindre son infortune à celle de Victor, et va le suivre dans sa quête insensée. Elle sera sans doute là, après.
Sa quête de la vérité sordide du sud va faire tomber des têtes mais pour combien de temps. La fin du livre est ouverte.
J’aime ce livre pour ces raisons-là mais aussi parce que l’auteur ne donne pas de leçons, il ne nous assène pas sa morale. Il fait de son histoire un thriller pour nous accrocher, une uchronie pour nous faire réfléchir et un presque pamphlet politique pour mieux dénoncer les jeux de pouvoir et les discriminations raciales encore en vigueur aux États-Unis. Et sans doute ailleurs…
« Nous sommes tous complices, en tant que membres d'une société qui produit de telles horreurs. C’est un virus qui contamine le monde entier, qui se propage, l’idée de la haine, de la peur de celui qui est différent. » Ben H. Winters
Et si vous voulez lire quelques uchronies remarquables, voici la sélection de l’auteur :
« Liens de sang est un roman de science-fiction de Octavia E. Butler qui s'attaque à la question de l'esclavage, et qui date de 1978. C'est un ouvrage remarquable.
Complot contre l'Amérique. Dans ce livre, Philip Roth imagine un président des Etats-Unis pro-nazi durant les années 1930-1940 en s'intéressant à la vie d'une famille juive… Ce que montre cette œuvre, de façon délicate et précise, c'est la façon dont la démagogie peut s'installer insidieusement dans un pays et une époque donnée. On pensait que ce style politique appartenait au passé mais ce n'est, à l'évidence, pas le cas...
Le Club des policiers yiddish de Michael Chabon, est l’un des autres ouvrages uchroniques que j'adore, c'est un livre fantastique. »
