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Un mois de lecture, Anne Besson - mai 2017
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Un mois de lecture, Anne Besson - mai 2017

Vous reconnaitrez sans doute les noms de certains invités du festival des Imaginales – ceux qui figuraient au programme des tables rondes que j’ai modérées. Ce n’est pas un hasard !
 
Jo Walton, Le Cercle de Farthing, Folio SF, trad. Luc Carissimo : Après Morwenna et plus récemment Mes vrais enfants (cf. ma chronique de février 2017), je continue mon exploration de l’œuvre de Jo Walton, romancière d’origine galloise installée au Canada. Exploration à rebours, puisque Le Cercle de Farthing, ainsi que les deux autres volumes qui composent La trilogie du subtil changement (Hamlet au paradis et Une Demi-couronne, disponibles chez Denoël « Lunes d’encre ») sont antérieurs dans sa carrière – parution originale en 2006. Il s’agit dans ces trois volumes d’enquêtes policières sur fond d’uchronie, à partir des années 1940, où l’on retrouve le même personnage d’enquêteur de Scotland Yard, l’inspecteur Carmichaël, dont l’homosexualité, alors illégale, fragilise la position ; et en contre-point, la voix d’une jeune femme toujours différente, à la première personne, qui se trouve au cœur de la tourmente – en l’occurrence Lucy, moins écervelée qu’il n’y parait au premier abord. Elle est issue de la meilleure société et un témoin privilégié de la divergence temporelle mise en scène par Jo Walton : ses propres parents, Lord et Lady Eversley, sont les propriétaires du château de Farthing où se déroulent le meurtre et l’enquête, et les membres éminents du « cercle de Farthing », petite coterie politique qui s’est hissée à la tête du pays à l’occasion de la « Paix dans l’honneur ». Evinçant les velléités de résistance de nazisme, leur ami sir James Thirkie a en effet, dans cette Histoire alternative, signé avec Hitler la fin des hostilités, lui laissant le champ libre dans toute l’Europe. Or voilà que le politicien est retrouvé mort dans d’étranges circonstances… On retrouve le même plaisir de lecture que face aux romans d’Agatha Christie ou de Dorothy Sayers : verte campagne, déductions astucieuses, intérieurs luxueux dissimulant de noirs secrets, violence feutrée par le confort des hautes sphères.  Sauf qu’ici, et c’est toute l’habileté de Walton, les dés sont pipés par les enjeux politiques, et le décorum familier du « whodunnit » ne rend que plus grinçant, plus angoissant, cet arrière-plan du fascisme triomphant, que Lucy et son mari juif, David Kahn, font crûment ressortir. Et le fait que l’Histoire ait été modifiée, si bien que l’on ne sait pas du tout à quoi s’attendre pour la suite, introduit une autre forme de suspense, haletant et riche de réflexions sur la fragilité de notre présent… 
 
Adrien Tomas, Le Royaume rêvé, Mnémos : paru en 2016, ce roman est le premier tome d’une nouvelle série, « Le Chant des épines » dont le second, Le Royaume éveillé, vient de sortir à l’occasion du festival des Imaginales. J’avais beaucoup apprécié la fantasy classique des premiers romans d’Adrien Tomas (La Geste du Sixième Royaume et La Maison des mages), ainsi que l’exercice de style virtuose qu’est le court Notre-Dame des Loups. « Le Chant des Epines » renoue avec l’ampleur (cartes, généalogie des clans, empire du Sud à l’affût de nos petits royaumes des Marches du Gel), sous une influence « martinienne » plus affirmée : comme dans Le Trône de Fer, c’est de suprématie politique qu’il est question, et des stratégies complexes qu’elle requiert, et la noirceur la plus intime infuse le quotidien des jeunes héros, humains dans un monde d’où les autres créatures, elfes, nains et monstres, se sont retirées. Autour d’Ithaen, princesse orpheline du clan Svelsen guidée par son régent religieux, les héritiers des autres clans vaincus grandissent en otages de choix, bénéficiant à ses côtés d’une éducation exceptionnelle – ils sont voués à devenir les Epines d’Ithaen, sa garde rapprochée, guerriers de légende affrontant le retour des terribles mandragores, et préparant ainsi l’avènement d’un royaume unifié. 
 
Je regrette que le viol soit une fois de plus utilisé pour fonder la psychologie d’un personnage, mais le premier volume, très riche, met cependant en place de nombreuses lignes d’intrigue encore esquissées – un ange de métal, des « scaldes », des esprits concurrents hantant le monde – qui promettent des développements originaux pour la suite. Les personnages les plus ambigus, La Locuste ou Vermine, sont particulièrement réussis !
 
Jim Hines, Le Graal du Gobelin (trad. Jean-François Le Ruyet) et Magie Ex-Libris, vol. 2, Lecteurs nés (trad. Lionel Davoust), L’Atalante :  Jim Hines, invité des Imaginales cette année, est un peu mon idole du moment - tout en barbe, grosses lunettes et tee-shirt Superman, blogueur engagé en faveur des fanfictions et contre les stéréotypes genrés (il est d’ailleurs également auteur des 4 volumes de la série « Princesses mais pas trop »), il compose une figure de geek on ne peut plus sympathique, quelque chose comme l’Amérique qu’on aime et dont on voudrait qu’elle soit la seule à exister… Ses romans, tout à fait conseillés, en donnent d’éloquentes illustrations. Goblin Quest date de 2004, et c’est le premier volume d’une trilogie, Jig The Dragon Slayer, traduit d’abord en 2008 chez L’Atalante et aujourd’hui réédité : à la façon de certains romans de Terry Pratchett, il s’agit d’une hilarante parodie des clichés de la fantasy épique la plus classique, tout droit sortie de Donjons et Dragons : la quête d’un artefact magique gardé par un dragon au cœur d’un labyrinthe souterrain, par un groupe d’aventuriers avides de gloire et de dungeon crawling… Sauf que parmi eux se glisse un gobelin ! L’éternel perdant des histoires, celui qui n’est là que pour se faire écrabouiller au début de l’aventure : Jig, maigrichon et très myope, réussit à s’imposer comme guide et son intelligence, manifestement supérieure à celle très limitée de ses compagnons, va faire la différence. Tout le monde en prend pour son grade dans cette revanche du « petit » sur les « grands » - le guerrier et son sens de l’honneur, le mage qui a réponse à tout, le nain et sa bière forte, sans parler du Nécromant, particulièrement gratiné ! Le tout est très réjouissant, rythmé, parfois hilarant.
 
Magie Ex Libris, plus récent et riche de 4 volumes, actuellement en cours de traduction (voir ma chronique du tome 1, juin 2016), est cependant incomparablement plus inventif – l’idée de la « bibliomancie », magie qui puise directement dans le pouvoir que l’imagination collective des lecteurs confèrent aux livres, est décidément formidable et très bien exploitée, ce deuxième tome regorgeant encore d’ingéniosité. Le point de départ est cette fois donné par des meurtres de wendigos, créatures que leur puissance met normalement à l’abri, dans le secteur du Michigan où officie notre héros, Isaac Vaïno, normalement retiré du « terrain » pour s’occuper de recherches théoriques auprès d’une prometteuse jeune fille qui tire sa magie des écrans – Iphone et liseuse. Isaac va continuer à en apprendre davantage sur le sombre passé de Gutenberg, sur la bibliomancie chinoise, et nous, lecteurs, nous faisons plus ample connaissance avec le formidable personnage de Lena, dryade sortie d’un livre où elle était l’incarnation d’un pur fantasme sexiste (façon Gor de Norman), et qui peu à peu réécrit littéralement son destin à chaque nouveau partenaire, et apprend à combiner le meilleur de chacun. 
 

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