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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2014

Le Jardin des silences, recueil de Mélanie Fazi, Bragelonne « L’ombre » : le jardin des délices
 
Mélanie Fazi fait quelque chose d’assez unique, dans le paysage français en tout cas. On pourrait penser qu’elle retravaille, de façon déjà très singulière, une vénérable tradition du fantastique dont la forme d’élection a toujours été la nouvelle (Hoffmann, Maupassant). Il m’est pourtant apparu, en lisant ou relisant ces douze textes, pour la plupart déjà publiés, mais sur des sites Internet ou des anthologies souvent confidentiels, que ce n’est pas exactement cela, pas toujours du moins : ce sont des figures du merveilleux que la plume de Fazi, accentuant le sentiment de décalage, la mise en évidence d’une fêlure au sein du réel, fait surgir dans le quotidien – un frère-cygne, comme dans le conte d’Andersen, dans le magistral « Swan le bien nommé » ; des dragons, dans les très troublants « Les sœurs de la tarasque » et « Dragon caché » ; un esprit du lieu dans ma nouvelle préférée de ce recueil, « L’été dans la vallée ».
Les souvenirs qui reviennent, littéralement dans « Un bal d’hiver », « L’Arbre aux corneilles », émouvant conte de transmission, ou dans « Le Jardin des silences », sur une vie reconstruite après un deuil jamais fait, les affres d’une vie amoureuse bien amère mise en regard de la création (« Miroir de porcelaine », « Trois renards ») : telles sont les thématiques qui ressortent d’un ensemble très cohérent, explorant inlassablement les connivences à reconstruire entre les êtres et entre les générations. C’est souvent poignant, plutôt réconfortant, et toujours très beau.
 
Le Jardin des Silences de Mélanie Fazi chez Bragelonne
 
Mauvais augures de Kelley Armstrong, Bragelonne « Thriller » : trop de mystère tue le rythme
J’avais entendu parler de la canadienne Kelley Armstrong, auteur très aimée de la série bit-lit Femmes de l’Autremonde (Morsure, Capture…), et la sortie du premier volume de sa nouvelle série, « Cainsville » était l’occasion idéale d’aller voir ça de plus près pour me faire ma propre opinion du phénomène. Premier constat : je suis soufflée par ce talent de construction d’un personnage ; il y a un « truc », c’est sûr, car la romancière parvient, en quelques pages à la première personne et avec presque rien (un emploi bénévole, des relations parentales qui sonnent juste), non seulement à nous faire croire à ce personnage d’Olivia Taylor-Jones (bientôt Eden Larsen…), mais à lui donner une profondeur suffisante, un caractère assez bien trempé, pour qu’on la suive volontiers dans la fuite assez rocambolesque où elle va rapidement se trouver entraînée. 
L’intrigue commence en effet sur les chapeaux de roue, quand l’univers privilégié de l’héritière et fiancée s’écroule, qui non seulement apprend par la presse à scandale qu’elle a été adoptée, mais encore que ses parents biologiques sont un tristement célèbre couple de serial killers, auteurs d’horribles meurtres rituels. Ce n’est  pourtant pas ainsi qu’elle s’en rappelle (très vaguement), et la contre-enquête s’amorce pour prouver leur innocence, depuis Cainsville, mystérieuse petite ville à l’abri du monde où Olivia a trouvé refuge et dont nombre d’habitants dissimulent manifestement plus que l’apparence qu’ils ont adoptée. 
Bon, là en revanche on touche aux limites de ce texte, qui, une fois atteint ce point (soit aux alentours de la centième page, à un petit tiers du livre), s’enlise franchement. Aucune angoisse ne parvient à surgir tant les indices de ce qui se joue restent dans ce premier volume allusifs. Les découvertes d’Olivia/Eden sont pour l’instant assez minces et peu probantes, son don pour déchiffrer les signes (les augures) bien peu exploité, tandis que sa romance amorcé avec son comparse Gabriel Walsh, jeune avocat au passé chargé et à la réputation sulfureuse, est cousue de fil blanc. Pas sûre que cette amorce me suffise pour me lancer dans une lecture au long cours…
 
Mauvais augures de Kelley Armstrong
 
La moitié d’un roi (La mer éclatée I), Joe Abercrombie, Bragelonne : mais pas la moitié d’une réussite !
 
Cette accroche, aussi attendue soit-elle, s’impose tant ce roman est magistral : j’adore depuis le début ce qu’écrit Abercrombie, mais ici on est vraiment face à de la fantasy de très haute volée – d’ailleurs, en est-ce vraiment ?, car si l’on se trouve bien dans un monde secondaire au niveau de développement pré-technologique (la Mer éclatée autour de laquelle se déchirent des royaumes aux noms nordiques et à la joyeuse barbarie néo-viking), n’en reste pas moins qu’Abercrombie n’introduit pas le moindre élément de magie dans sa recette… 
 
C’est une bonne vieille traitrise humaine qui propulse Yarvi, fils cadet du charismatique couple royal du Gettland, que son bras atrophié, et les humiliations qui l’accompagnent, destinaient au rang de Ministre (conseiller érudit), sur le Trône Noir d’abord, puis, très vite, incognito à bord d’une galère, avide de vengeance. On s’attache alors à un robuste récit d’initiation, bourré de péripéties, d’humour sarcastique et d’excellents seconds couteaux (difficile d’en choisir un : la capitaine Shadikshirram peut-être, sorte de Jack Sparrow vingt ans après, décatie et inflexible), mais Abercrombie nous ménage encore des surprises, avec non pas un mais deux excellents rebondissements qui viennent dynamiser les pages finales. Le récit est complet à l’issue de ce volume, 325 pages sans une once de gras – quelle maîtrise ! 
 
La moitié d’un roi (La mer éclatée I), Joe Abercrombie
 

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