
7 apparait un peu comme la somme de tout cela, ce qui n’est pas rien : 7 romans, donc, ou plutôt 6 nouvelles et une novella, « La Septième » censée rendre compte de la cohérence profonde des six précédentes – avec une intelligence virtuose mais pas totalement convaincante à mon sens. Qu’à cela ne tienne, l’ensemble tient très bien tout seul, avec « La Septième » en clé de voûte qui en reprend tous les thèmes. Les liens se tissent d’eux-mêmes dans l’esprit et la mémoire du lecteur, entre « Hélicéenne » (ce titre !), première nouvelle et ma préférée, sur une drogue qui permet à un moi ancien de réintégrer le corps actuel du sujet (l’ado qu’on a été dans le corps de l’adulte qu’on est devenu), « Les Rouleaux de bois », superbe plongée dans le monde des érudits de la pop musique et beau « what if » en réécrivant l’histoire, « Sanguine », conte en variation sur « La Belle et la Bête », « La Révolution permanente », qui travaille cette fois le motif fantastique du fantôme, « L’Existence des extraterrestres » et « Hémisphères », qui explorent, au présent et dans le futur, deux grands motifs de SF (les ET, donc, et les petits mondes autonomes en isolats). Et « La Septième », magistrale, imagine Un jour sans fin à l’échelle d’une vie !
Outre un très bel hommage à de grands motifs qui sont presque des stéréotypes, hantant les genres de l’imaginaire, et que Tristan Garcia revisite avec un mélange de respect et de gourmandise, ce qui relie ainsi les différents récits, c’est un équilibre subtil, toujours sur le fil, entre les différents registres de son œuvre – des peintures de milieu, variées et convaincantes (le dealer d’« Hélicéenne », la presque ex-rock star des « Rouleaux de bois ») et surtout une réflexion continue, profonde, sur le sens de l’identité dans le temps, sur le rôle de la croyance (« L’existence des extraterrestres »), sur l’enjeu des idéologies (« La Révolution permanente »). Un auteur de « littérature générale » qui réussit l’exploit de proposer une variation sur les genres qui donne à rêver et à penser, c’est assez rare pour être applaudi !


Il y a bien une intrigue (un mystère lié au consortium auquel Rhuys s’est associé et que, victime de chantage, il est amené à espionner pour le compte de l’Administration), mais l’enjeu du récit tient dans cette problématique abstraite - oublier le passé ou le préserver, bâtir dessus ou le mettre de côté ? Entièrement tourné vers l’arrière, un tel questionnement, même s’il donne lieu à des pages magnifiques, handicape nécessairement tout développement de la tension narrative. Les scènes de course-poursuite qui réapparaissent à intervalles réguliers sont sans doute censées pallier ce problème, mais on continue à s’ennuyer ferme par moments – il n’y a tout simplement pas d’avenir, que ce soit pour la Vendeuse ou pour le héros dans cette ville-là, cette vie-là ; la création artistique, poétique, est la seule porte de sortie possible. Un beau projet donc, tissé de nostalgie, de renoncement, de réflexion sur l’art et la place du visionnaire, qui aboutit cependant à un résultat par trop contemplatif à mon goût.
Retrouvez ici une interview de Lionel Davoust pour Port d'âmes)

Joie, bonheur ! Revoilà une héroïne selon mon cœur, et pour tous ceux qui portaient le deuil de Lady Alexia Maccon, l’héroïne du Protectorat de l’Ombrelle de Gail Carriger – Isabelle, Lady Trent, qui évolue elle aussi dans une Europe alternative qui a toutes les caractéristiques de l’époque victorienne (avec seulement d’autres toponymes, et avec des dragons…), en a le charme et la trempe, en un poil moins drôle, en peu plus tragique. Désormais âgée, elle écrit ses mémoires depuis une position qu’on sait être celle d’une exploratrice et chercheuse très reconnue, à l’origine des connaissances désormais partagée sur les dragons, et de pas mal d’autres bouleversements dans la marche du monde. Dans ce premier volume consacré aux débuts de sa carrière de naturaliste, elle raconte comment, petite lady de campagne, fascinée par les dragons, elle a dû mettre sous le boisseau cette passion scandaleuse pour le découpage d’animaux morts, jusqu’à ce que son mariage avec le compréhensif Jacob Camherst lui permette de prendre son envol en réalisant enfin ses rêves. L’essentiel du roman est consacré à leur première expédition, à la découverte des veurs des montagnes de Vystranie, pays inhospitalier qui n’est pas sans évoquer notre Transylvanie. Alors qu’un mystère de plus en plus épais entoure leur séjour dans le village de Drustanev, la téméraire Isabelle ne cesse de déterrer des secrets et de se fourrer dans la gueule du danger. Ses réflexions sur la place faite aux femmes et l’ingéniosité avec laquelle elle contourne ces contraintes sont réjouissantes, et la progression de l’intrigue parfaitement menée pour nous tenir en haleine. De toute façon, de la fantasy victorienne avec pour héroïne une scientifique/exploratrice/spécialiste des dragons, c’était déjà largement assez pour que je sois conquise !