Eut-il vécu quelques années de plus, James Graham Ballard aurait certainement fini par se trouver en bonne position sur la liste des prétendants au prix Nobel de littérature. Malheureusement pour lui et pour la science-fiction, il dut se contenter de la reconnaissance du grand public et d’une sélection pour le fameux Booker Prize avec son récit autobiographique L’Empire du soleil, ce qui constitue tout de même un bel accomplissement. Ses récits sont parfois difficiles d’accès, voire choquants, comme le célèbre Crash mis en image par David Cronenberg, ou La Foire aux atrocités, que l’on peut interpréter comme un complément à ce qu’il avait entrepris avec ses premiers romans : un avertissement à l’intention d’une humanité de plus en plus dominée par la technologie. S’inscrivant dans la tradition très britannique des apocalypses écologiques, ses quatre célèbres fins du monde ont durablement marqué les esprits. Dans une veine plus poétique, mais pas moins puissante, James Ballard a aussi écrit l’un des plus beaux recueils de nouvelles publiés dans une collection de science-fiction, Vermillion Sands, qui se déroule au cœur d’une station balnéaire désaffectée, dans un désert de sable rouge où se côtoient artistes d’avant-garde et célébrités déchues.
Notre planète rend son dernier souffle...
La Terre est en proie à un ouragan qui n’épargne aucune région et met rapidement l’humanité entière en danger. En effet, ce vent qui souffle de nulle part forcit tous les jours et balaye sans distinction agglomérations urbaines et paysages naturels. Placés dans l’impossibilité de sortir pour se ravitailler, les civils se terrent dans les souterrains des zones urbaines, égouts ou stations de métro… Combien de temps pourront-ils tenir ? Il ne reste plus guère que les armées pour posséder des véhicules blindés et assez puissants pour affronter la tourmente. L’équipage d’un de ces tanks tente de regagner Londres depuis l’Italie, mais la tâche se révèle vite surhumaine. La vie à la surface de la planète finit par être impossible et pourtant, dans un endroit tenu secret, des ouvriers bâtissent un gigantesque bunker en forme de pyramide pour un magnat richissime et bien décidé à survivre à la catastrophe… Un égoïsme démesuré serait-il vraiment le seul moyen de survivre à la fin du monde ?
Le premier des quatre cahiers de l'apocalypse.
L'eau, le feu, la terre et l'air, les quatre éléments indispensables à la vie, ont été utilisés par Ballard pour l'anéantir dans ses fameux récits apocalyptiques. Le Vent de nulle part est le premier roman de cet auteur majeur et, il faut le préciser, le texte qu’il considérait comme le plus commercial, au point qu’il en avait interdit les rééditions. Cela, bien entendu, n’empêche pas d’en parler, ni d’en chercher de vieux exemplaires avant qu’ils ne tombent en poussière et que s'efface complètement le souvenir de cette œuvre de jeunesse… Malgré les réserves de son auteur, Le Vent de nulle part pourtant n'a pas grand-chose à envier aux trois apocalypses suivantes. Celle-ci est peut-être même plus originale que celles qui forment la toile de fond de Sécheresse ou Le Monde englouti. Des lecteurs pointilleux pourraient certainement lui trouver quelques défauts, mais Le Vent de nulle part n'en resterait pas moins un roman plus qu'honorable, recelant sa part d'images fortes, du suspense, et quelques personnages difficiles à oublier. Beaucoup d'auteurs se contenteraient de moins... Ajoutons à cela que si la décision de Ballard était portée par une très respectable préoccupation artistique, la situation climatique actuelle justifie parfaitement, de l’avis d’un vieil archiviste, que nous passions outre. Quinze mille scientifiques ont récemment alerté l’opinion publique et sommé les institutions officielles de tout mettre en œuvre pour sauver la planète avant que le scénario décrit par James Ballard ne soit devenu réalité… Au cours des premières années du vingt et unième millénaire, le nombre de catastrophes climatiques a connu une augmentation considérable, la puissance des cyclones est de plus en plus préoccupante et leur fréquence s’est accrue dans des proportions effarantes ces trente dernières années. Comme Cassandre, Ballard n’avait peut-être pas tort et nous serions bien avisés de tenir compte de ses avertissements…