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L'homme stochastique

Robert Silverberg ( Auteur), J. Paternoster (Illustrateur de couverture), René Lathiere (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/01/90  -  Livre
ISBN : 2253052507
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Eric   - le 20/09/2018

L'homme stochastique

A la sortie en librairie de L'oreille interne, Robert Silverberg avait déjà clamé son intention de ne plus écrire de science fiction. Le marché de l'édition lui semblait alors prendre une direction qui ne lui plaisait plus. Quelque chose comme un mercantilisme forcené dans lequel il ne se retrouvait pas.

Pourtant, avant de prendre pour de bon sa "retraite", il publiera encore deux romans. Le premier de ceux-là est L'homme stochastique, intitulé plus tard Le Maître du hasard.

Pour faire court, la stochastique est une science qui va quantifier ce qui est possible afin de déterminer ce qui sera probable.

Politique et Stochastisque

C'est le fort lucratif métier de Lew Nichols, sémillant stochasticien new-yorkais, qui réserve à une élite fortunée de capitaines d'industrie, la primauté de ses intuitions. Car Lew, n'est pas qu'un statisticien. Il a une vision globale des grandes tendances et sait en déduire des probabilités vérifiables. Une sorte de don qui confine à parfois l'irrationnel.

C'est précisément pour cette clairvoyance que Paul Quinn le veut dans son équipe. Politicien ambitieux, charismatique, il est évident pour tout le monde que le mandat qu'il brigue à la mairie New York n'est qu'un marchepied vers la Maison Blanche. Parce que lui aussi voit loin, il juge le talent de Lew Nichols suffisamment précieux pour l'admettre au sein de sa garde prétorienne.

C'est ainsi que ce dernier va croiser la route de Martin Carjaval, millionnaire falot, qui va faire voler en éclat toutes ses certitudes et le faire buter irrémédiablement sur la contremarche du pouvoir.

Car Martin Carjaval voit l'avenir. Il ne le déduit pas, ne le prédit pas, ne l'envisage pas. Carjaval voit l'avenir. Le seul, l'unique possible, celui qui ne peut qu'être, puisqu'il est déjà écrit et que nul ne peut le réécrire.

Un livre porté par la colère

Plus que troublante, elle est gênante cette idée d'un avenir irrémédiable dans une société comme la nôtre, baignée de catholicisme et d'espoir de rédemption. En revanche, pour un américain, dont les principales Eglises sont affiliées au protestantisme, la Destinée Manifeste est un concept très concret. Il en va d'ailleurs de même dans la culture juive. Mais loin de faire du prosélytisme, Robert Silverberg profite de la familiarité que son lectorat entretient avec une telle conception du monde pour se lancer dans une subversion rageuse. Car L'homme stochastique est un livre porté par la colère. Ecrit alors qu'autour de son auteur les tensions s'accumulaient jusqu'à l'insupportable, tout n'y est que dénonciation du mensonge et des faux-semblants. Modes imbéciles, religions de pacotille, relations sociales faussées et espérances vaines. Ultime pied de nez : cette clairvoyance insupportable qui ne révèlera que l'imposture des ambitions politiques. Seule touche d'espoir, bien maigre, cet abandon total au cours du futur. Il ne saurait être question de foi en l'avenir, mais plutôt d'une philosophie de l'attentisme, comme une résignation.

Roman d'un homme qui ne supporte plus sa vie, L'homme stochastique est aussi la lettre d'adieu à New York de Robert Silverberg. A l'époque la ville est une jungle urbaine invivable, où la violence la plus extrême est quotidienne. Silverberg divorce de New York à cette époque, et le traduit en rendant de la mégalopole un tableau apocalyptique, où la guerre des gangs se fait à coup d'engins blindés et d'armes lourdes et où le népotisme des édiles n'a d'égal que le cynisme désinhibé avec lequel ils traitent leurs administrés.

L'homme stochastique est le point de rupture de Silverberg. Un geste littéraire qui trouve son équivalent dans un revers de bras qui envoie tout bouler. Partagé entre un regret du clinquant et des aspirations monastiques, le roman ne trouve son équilibre que dans une farouche volonté de dissidence.

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