Les Formiciens

En 1932, un parfum de scandale flottait sur l’académie Goncourt, dont J-H Rosny aîné était alors président. Celui-ci vota en effet pour un livre inconnu, Les Formiciens, écrit et discrètement publié en tirage limité par un avocat, Raymond de Rienzi. C’est ainsi que le Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline, dont la victoire semblait assurée, perdit la voix qui lui manquait et le prix fut remporté par un troisième auteur, Guy Mazeline, que la renommée de ses concurrents éclipsera pourtant… Raymond de Rienzi avait jusqu’alors vu publier plusieurs articles et une demi-douzaine d’ouvrages parmi lesquels un roman dont le titre semblait promettre quelques frissons coquins (Tremblante et nue, roman criminel), ainsi qu’un manuel de conseils destinés aux acheteurs potentiels d’automobiles d’occasion, certainement l’un des premiers du genre... Les Formiciens confirmèrent brillamment son éclectisme puisqu’il ressortait de l’un des genres de prédilection de son ami Rosny : le merveilleux scientifique. Malheureusement, et en dépit d’un intérêt marqué pour ce type de récits, il n’en livrera pas d’autres. Après un ultime roman en 1935, La Femme captive, il semble avoir cessé d’écrire.

Épique, les fourmis !

Nous l’ignorons peut-être aujourd’hui, mais il y a deux cent cinquante millions d’années, plusieurs espèces de fourmis intelligentes se sont disputé la domination de notre planète. Les mammifères n’en étaient encore qu’au stade de vague projet, et si les dinosaures semblaient puissants, leur taille les empêchait de voir que la suprématie appartenait aux formiciens. Hind, un formicien géant appartenant à une tribu nomade décimée, a trouvé refuge dans la fourmilière d’une espèce différente et s’est intégré à leur société jusqu’à en devenir l’un des plus loyaux soldats. Une révolution se prépare cependant, car une faction rebelle souhaite imposer à la colonie un ordre nouveau… Les convulsions de cette Histoire immémoriale conduiront Hind à reprendre la route pour explorer de nouveaux territoires, découvrir de nouvelles espèces de formiciens avec leurs civilisations inconnues et, au mépris du danger, à s’aventurer où nulle fourmi n’avait encore posé la patte…

En 59 avant B.W.

Plus d’un demi-siècle avant le succès du livre de Bernard Werber, Les Fourmis, Raymond de Rienzi avait brillamment exploré de l’intérieur l’univers des formicidés, en adoptant une plus vaste perspective. Bien que le roman couvre seulement une période correspondant à la durée de vie de Hind, son principal protagoniste, Les Formiciens possède une structure qui permet de transposer les évolutions sociales, techniques et culturelles de l’espèce humaine à travers la découverte des différentes sous-familles du genre formicidé. Le roman ne manque pas d’aventures, ni d'histoire d'amour, et si la psychologie des personnages reste très humanoïde, ce choix permet de se projeter plus facilement dans l’exosquelette des héros, pour explorer avec eux l’étrangeté d’un monde vu depuis le ras des pâquerettes. Si vous ne trouvez pas l’édition NEO, comme toujours magnifiquement illustrée par Nicollet, notez que ce roman a fait l’objet d’une réédition en 2007, chez Éons.