La piste des étoiles
Fredric Brown, auteur d'au moins deux des meilleurs livres de science-fiction de tous les temps, les célébrissimes Martiens go home et L'univers en folie, est surtout et à juste titre considéré comme l'un des plus grands humoristes du genre. Ses nouvelles ultra-courtes, en particulier, de véritables modèles de concision, sont régulièrement rééditées. La science-fiction ne constitue pourtant qu'une petite partie de son activité d'auteur, qu'il consacra majoritairement au roman policier. S'il est encore assez facile de se procurer la plupart de ses livres, il n'en va malheureusement pas de même pour certains de ses ouvrages moins connus, hors genre comme Cincinnati blues, ou presque, comme La piste des étoiles, un titre qui est loin de rendre justice à la poésie de l'original : The lights in the sky are stars.
Ad astra... per aspera !
Estropié dans un accident lors d'une mission sur Venus, Max Andrews végète en cumulant les contrats de simple mécano. Ce qui compte avant tout pour lui, c'est de se trouver sur un astroport, en contact avec ses chères fusées. Cet unijambiste de cinquante-sept ans, hébergé par son frère et sa belle-sœur, est vivement conscient du peu de temps qu'il lui reste pour réaliser ses rêves et embarquer une dernière fois en direction de l'espace. Un soir, il apprend l'existence du projet d'une sénatrice nouvellement élue qui envisage d'envoyer une fusée sur Jupiter, des années après l'abandon du programme de conquête du système solaire. Son âge et son handicap ne lui permettent pas d'espérer une place à bord mais il contacte tout de même Ellen Gallagher, certain qu'il est capable de participer à l'aventure en collaborant à la défense du projet aux côtés des stardusters et en prenant part à son organisation. Pour mener son entreprise à bon terme, Max est prêt à tout...
A la gloire de ceux qui n'abandonnent jamais.
Alors que la conquête spatiale revient peu à peu au goût du jour avec d'ambitieux projets de présence humaine sur Mars, lire ou relire La piste des étoiles peut nous rappeler que derrière les prouesses techniques se trouvent des hommes avec leurs faiblesses, leurs défauts, et parfois leurs tragédies personnelles. Pour le commun des mortels des années cinquante, un astronaute était une sorte de super-héros versé dans les disciplines scientifiques les plus abstruses, à la condition physique impeccable et au moral d'acier. Pourtant, loin de sacrifier au mythe naissant, Fredric Brown examine avec beaucoup de tact les tourments intimes de ces hommes que l'imaginaire collectif rêvait en demi-dieux. Cette lucidité dont il fait preuve, pas totalement dépourvue de cynisme, rend encore plus poignante la grande aventure de la conquête de l'espace. Pourtant, loin d'être un ouvrage déprimant, La piste des étoiles met en scène un homme qui a pu surmonter son handicap en manifestant l'insubmersible optimisme qui constitue la plus grande force de ceux qui savent donner corps à leurs rêves envers et contre tout au lieu de les laisser s'étioler au fil du temps.
Il n'est pas évident de parler ici de science-fiction, un genre auquel La piste des étoiles n'appartient finalement que de façon assez marginale. Si c'était bien le cas en 1953, année de sa parution, il serait aujourd'hui plus juste de considérer ce roman comme un récit de littérature générale se déroulant dans un cadre rétrofuturiste, puisque la société de la fin du vingtième siècle qu'imaginait Fredric Brown en l'écrivant a suivi une autre route temporelle. Se démarquant assez nettement de l'essentiel de la production de l'auteur, La piste des étoiles n'a certainement pas eu la reconnaissance que ce récit méritait. La sensibilité et la compassion dont l'auteur fait preuve pour Max Andrews, un homme brisé, en sont les maîtres mots et en font un roman méconnu mais digne de prendre place parmi les meilleurs.