La belle quarantaine de Marc Lévy aurait pu en faire ce que les médias appellent un bon client, n'eût été l'inaltérable lissé chromé de son discours.
Traînez-le dans la boue, dites que ses livres sont nuls, rien n'y fait. Plus aseptisé qu'une pop star US en tournée promo, Lévy systématise son leitmotiv en forme d'excuse : " Mais je ne suis pas un écrivain, je raconte juste des histoires". Si l'on considère que son premier effort s'est vendu à près de 400 000 exemplaires, a été traduit en 32 langues et a, naturellement, vu ses droits achetés par Spielberg, une telle fausse modestie confinerait à la tartufferie, si elle ne portait pas en elle le germe d'une impitoyable lucidité.
Arthur est un architecte prospère qui vient de rompre avec sa petite amie. Ses affaires tournent presque toutes seules, son associé se charge du suivi commercial, ce qui lui laisse l'esprit libre pour emménager dans ce joli petit appartement d'un quartier tranquille de San Francisco. Tout est si parfait dans la vie de ce quadragénaire sympathique et beau gars qu'on est presque gêné pour Marc Lévy de la transparence de l'identification à son héros.
Seulement voilà, un matin, il trouve une femme dans son placard. Plus insolite encore, il est le seul à la voir et à l'entendre parce qu'elle est l'émanation de l'ancienne occupante de l'appartement. Lauren - c'est son nom - est plongée depuis plusieurs mois dans un profond coma dont elle parvient à s'échapper ainsi, mais habituellement sans pouvoir communiquer avec qui que ce soit. On comprend alors pourquoi elle va s'accrocher à Arthur comme une moule à son poteau.
Ce qui s'avère tout d'abord être une gêne, va vite se transformer en une bouleversante histoire d'amûûûûûr…
Ainsi c'est donc vrai ! Marc Lévy n'est pas un écrivain. Outre un style scolaire entrelardé d'envolées lyriques vides de sens et d'aphorismes de publicitaires, on s'agace qu'un tel manque de maîtrise de la fiction ait été si bien récompensé. Marc Lévy raconte tellement toute son histoire, qu'il la vide de la plus petite parcelle de mystère, laissant notre imaginaire tourner à vide. Ses personnages sont unidimensionnels et stéréotypés à l'excès. Ils sont par ailleurs tous tellement formidables et tellement pleins de sagesse qu'ils feraient passer Blanche-Neige pour une pute à matafs et Lao Tseu pour un PDG de compagnie pétrolière.
Mais le pire, c'est que Lévy passe totalement à côté de la tension dramatique de son histoire. "Et si c'était vrai…" nous dit-il. Mais c'est forcément vrai, puisque pas à un seul moment on se prend à douter de la santé mentale de ce plat bourgeois macrobiotique. Pour improbable que cela soit, le fait qu'il voie et entende Lauren est la seule explication que nous fournisse la logique interne de son récit.
Une fois encore la machine éditoriale a livré, bien à son insu, une œuvrette fantastique, plus proche de Ghost le film tartignole, que de Véra l'un des Contes cruels que Villiers de l'Isle Adam publia en 1883 et qui raconte sensiblement la même histoire, mais avec infiniment plus de talent. Et tiens d'ailleurs tant qu'on y est… Autant pour la belle idée originale de Marc Lévy que les confrères n'ont pourtant pas manqué de saluer.