Connaissez-vous Harlan Ellison ? Non ? C'est normal. Ne vous inquiétez pas. A moins d'avoir fouiné dans de vieilles revues ou d'avoir parcouru avec attention certains dictionnaires de la SF comme Le science-fictionnaire de Stan Barets, il n'y a aucune raison que vous le connaissiez. Tout au plus, son nom vous sera-t-il familier… Et pourtant… Du haut de ses 67 ans, Harlan Ellison fait partie de l'histoire de la science fiction américaine. Dans les années 70, il a joué l'enfant terrible de la SF, lâchant textes provocateurs sur textes provocateurs. Au total, ses nouvelles se compteraient par centaines. Mais surtout il a connu son heure de gloire en publiant Dangerous Visions en 1968 et Again dangerous visions en 72, deux anthologies manifestes et libérées réunissant de nombreux auteurs avec de nouvelles directions pour la science fiction. Dans la foulée, les éditions des Humanoïdes associés ont publié en France trois recueils de ses récits à lui. Et depuis, plus rien… ou si peu. Travaillant pour le petit écran, la BD et le cinéma, jouant au critique télé puis au découvreur de talent (c'est lui qui a lancé Dan Simmons), Harlan Ellison a continué à écrire quelques nouvelles récoltant au passage plusieurs prix Hugo et Nebula. Après des années d'absence dans l'hexagone, les éditions Flammarion publient donc aujourd'hui un nouveau recueil de ses textes. Une sorte de retour quoi…
Douze textes fantastiques.
Ses textes sont au nombre de douze. Chacun à sa manière, ils explorent les méandres du fantastique. Souvent d'ailleurs, ces nouvelles donnent froid dans le dos. On citera par exemple Le septième jour où en composant machinalement son numéro de téléphone, Peter tombe sur son double. Un autre lui-même bien plus gentil et amical qu'il ne l'est et qui occupe tranquillement son appartement. Deux Peter, c'est un de trop. Lequel restera en vie ? On pourrait aussi évoquer La machine aux yeux bleus et l'âme de sa pauvre héroïne absorbée par une machine à sous de Las Vegas. Mais en dehors de ces idées parfois rocambolesques, c'est la force de certaines nouvelles qui reste en mémoire et les rend magnifiques. On comprend par exemple que la mélancolie de Jeffty a cinq ans ait touché le cœur des jurys du prix Hugo avant de le lui attribuer. L'histoire de Jeffty, un petit garçon qui ne grandit plus depuis ses cinq ans alors que le temps continue à s'écouler pour les gens de son entourage, est tout simplement poignante. Evidemment sa différence conduit les autres enfants à le rejeter et lui vaut la haine de ses parents…
Dans le même ordre d'idée (une certaine tristesse), l'une des plus belles nouvelles du recueil est Toute ma vie n'est qu'un mensonge. Jouant du flash back lors d'un enterrement, le meilleur ami de la victime se repasse en mémoire certains moments clefs de leur relation. Ici, on ne peut pas parler de fantastique. Aucun élément de l'histoire ne s'y rattache. Bien entendu cela n'en atténue pas sa beauté. Vous l'aurez compris, l'ensemble de ce recueil est plutôt sombre. Seul peut-être Rires Préenregistrés et la drôle d'aventure d'un scénariste télé qui entend la voix de sa tante défunte dans les bandes de rires préenregistrées, affiche un certain optimisme. Pour le reste, c'est plutôt noir. Dépressif s'abstenir.
Un bon recueil avec d'excellentes nouvelles
Avec ses douze nouvelles, La machine aux yeux bleus est plutôt un bon recueil. Sans aller jusqu'à encenser l'ensemble de son sommaire, on dira que ce livre contient de très bons textes qui valent franchement le détour. Espérons simplement que parmi les centaines de nouvelles qu'Harlan Ellison a écrites, il y en ait un paquet d'autres du même acabit, et que bien entendu, elles soient un jour publiées en France...