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Le Visage Vert N°11

Xavier Legrand-Ferronnière (Anthologiste), Edouard Dujardin ( Auteur), Artur Machen ( Auteur), Max Pemberton ( Auteur), Michel Meurger ( Auteur), Robert N. Bloch ( Auteur), Friedrich Laun ( Auteur), Stefan Ueding (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/01  -  Livre
ISBN : 2844121055
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charlotte   - le 31/10/2017

Le Visage Vert N°11

La Vierge de fer n'en finira plus de venir hanter vos cauchemars après la lecture du numéro 11 de la revue Le Visage Vert qui lui est dédiée. De l'Eiserne Jungfrau allemande à l'Iron Maiden anglaise, on voit qu'elle a intrigué les trois pays pionniers du fantastique. Michel Meurger se propose de nous faire découvrir l'épopée culturelle de la Vierge de Fer. Tout commence avec Polybe, cet historien grec est le premier à faire mention d'un automate, portrait de la femme du tyran Nabis, dont le corps est recouvert de pointes de fer dissimulées sous sa robe. C'est ensuite dans la seconde moitié du XVIIème que la Vierge de Fer réapparaît, mais c'est au XIXème grâce au Romantisme et à la quête de l'esthétique gothique qu'elle sera définitivement établie comme figure emblématique et motif récurrent. Erigée en symbole, elle est désormais l'incarnation de différentes peurs irrationnelles. Elle représente dans un premier temps un Moyen-Âge barbare qui usait pourtant d'instruments de torture " raffinés ". C'est une période fantasmée plus qu'historique, pour preuve la difficulté qu'ont les historiens et archéologues à trouver une vierge de fer de cette époque qui n'ait pas été ultérieurement modifiée. La précision de son mécanisme fait d'elle un automate, et elle se charge alors de toutes les angoisses liées à l'avancée de l'horlogerie. En effet, l'automate est une reproduction quasi parfaite de la réalité, il ne lui manque que la vie, petite lacune que les écrivains vont se charger de combler. En outre, la Vierge de Fer est liée avant tout à l'érotisme macabre. Objet paradoxal, il est aussi attirant que répulsif, condensant en un même temps les pulsions contraires d'Eros et Thanatos. L'Iron Maiden reproduit la gestuelle amoureuse mais de manière viciée, dans le but de tuer (Thanatos) et non de donner la vie (Eros). En cela la parodie de mariage, lorsque le condamné, surnommé le " marié ", est emmené entre les bras de sa promise, est révélatrice du détournement des valeurs traditionnelles. La Vierge de Fer a un caractère hautement subversif puisqu'elle porte en elle les attributs de la féminité mais aussi de la masculinité. Elle est parée d'une virginité éternelle et dans le même temps c'est elle qui fait couler le premier sang dans une mise en scène cauchemardesque (on pense fortement à Erzsébet Bathory qui est aussi une sorte de personnage hermaphrodite). En effet, les pointes qui couvrent l'intérieur de ses bras et / ou de son corps sont des symboles phalliques, et c'est un rapport sexuel d'une violence inouïe qui nous est donné à voir. Les enjeux sont bien sûr différents si la victime est une femme ou un homme, mais on notera tout de même que le plus souvent c'est un jeune homme qui est placé dans le corps de cette femme de fer.

Plusieurs excellentes nouvelles que l'on découvre selon un ordre raisonné

La Vierge de Fer d'Edouard Dujardin ouvre le recueil. C'est une nouvelle d'une extrême brièveté mais d'une rare intensité. Un groupe de jeunes Parisiens visite un musée consacré aux appareils de torture moyenâgeux, la lumineuse et désinvolte Lucy tourne autour de la Vierge de Fer qui trône dans la salle, se pelotonne à l'intérieur tout en riant. Mais à force de jouer avec le feu, on finit par se brûler…

Histoire de la Vierge de Fer d'Arthur Machen nous fait entrer chez un homme somme toute assez étrange. Sa maison ressemble à un musée, il s'entoure d'objets de torture du Moyen Âge et la pièce maîtresse de sa collection est une vierge " en bronze vert ". On pense tout de suite à La Vénus d'Ille de Mérimée, outre le fait qu'elle soit " en bronze " et qu'elle semble s'animer, elle ressemble à une Vénus et, tout comme la statue de Mérimée, elle a " quelque chose de maléfique et de mortifère ".

La Vierge de Fer de Max Pemberton nous présente un jeune homme, gardien de la Chambre des tortures d'un château, qui sombre lentement dans la démence à cause de sa morbide fascination cet endroit terrifiant. Suit un très bon essai de Michel Meurger à propos de la Vierge de Fer et de son incidence dans l'histoire et les Arts.

La dernière nouvelle proposée, La Morte fiancée de Friedrich Laun, travaille un autre mythe celui des revenants. C'est un récit à la littérarité certaine qui multiplie les mise en abyme, et par-là même les jeux de miroirs, et conserve le doute, puissant vecteur du fantastique, jusqu'à la dernière ligne.

Des éloges mais un petit bémol

Comme toujours c'est une revue aux qualités indéniables qui nous est proposée. Le thème est porteur, tout comme l'était celui de Gilles de Rais, puisqu'il fait appel à un imaginaire teinté, il est vrai, de sadisme. La Vierge de Fer porte en elle un mystère et une attraction morbide, ce n'est pas un hasard si elle a fasciné nombre d'auteurs. Aujourd'hui encore elle refait surface de temps à autre comme dans le film Sleepy Hollow réalisé par Tim Burton. Le choix des nouvelles est réfléchi et intelligent puisqu'il nous permet d'appréhender ce motif selon différentes problématiques. Michel Meurger offre un essai détaillé et précis qui propose beaucoup de clefs à la compréhension de cette figure plus littéraire et artistique qu'historique. La dernière nouvelle, La Morte fiancée, est un petit bijou. Elle vient comme en apothéose à la fin de la revue. Très riche et extrêmement travaillée, elle fait oublier la mauvaise impression laissée par Le Petit catalogue illustré du fantastique allemand conçu par Robert N. Bloch. On ne peut que saluer la quasi-exhaustivité de cette liste des oeuvres fantastiques allemandes, mais elle est à prendre comme un outil de travail et de recherche. Sa lecture s'avère fastidieuse et éprouvante puisque Bloch se borne (et c'est compréhensible) à ne donner qu'un résumé de l'histoire et un petit commentaire, le plus frustrant étant que la plupart des titres cités n'ont pas été traduits en français. Peut-être que cela suscitera quelques vocations et que des éditeurs ou universitaires nous feront redécouvrir cette littérature d'Outre-Rhin.

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