Chef d’oeuvre
Les auteurs, Stéphane Mouret et Jérôme Sorre sont amis depuis toujours (ils sont nés dans la même maternité, ont été au même collège et lycée). La fac les a séparés (droit pour l’un, lettres pour l’autre) mais c’est lors de soirées de retrouvailles qu’ils créèrent « Le Club Diogène ». Aujourd’hui chacun écrit des textes très différents, Jérôme Sorre rédige un « inessoufflable cycle de neurasthenic-fantasy » et Stéphane Mouret sème des textes un peu partout. Le Club Diogène continue néanmoins de les réunir, pour notre plus grand plaisir…
Le Club Diogène rassemble sept personnages foncièrement différents ayant tous un même point commun : l’envie de résoudre des intrigues insolites dans le Paris de la fin du XIXéme siècle. Seulement ces histoires ne sont étranges que par la manière de les résoudre des protagonistes. Un soir, Fedor, russe et féroce nihiliste, et Vayec, aristocrate cynique, se retrouvent dans leur quartier général, une ancienne suite délabrée de l’hôtel Impérial. A une table proche, Franklin, la tête pensante du groupe joue aux échecs. Arrive alors le Maréchal avec une seule idée en tête, retrouver la personne qu’il a croisée en train de voler des têtes guillotinées. Tous les trois, rejoints par Lison et D’Orville, couple des plus surprenants par la différence d’âge et de mœurs, se dirigent alors, un soir d’hiver, vers la maison de Benjamin Lacurie, l’insolite collectionneur.
Ce premier tome est détonnant par l’atmosphère pesante et étrange du Paris du XIXème siècle qui ne va pas sans rappeler une certaine ambiance hitchcockienne. Ainsi Franklin aura une des plus belles peurs de sa vie en face de la folie plus ou moins maîtrisée du groupe et de l’amateur de têtes coupées. L’histoire est au départ assez classique mais tourne rapidement à l’insolite. Cela laisse au début perplexe mais on s’y fait très rapidement et on a hâte de voir ce qui arrive. Le ton est léger voire grivois avec les descriptions des nombreux orgasmes de Lison, les dialogues sont assez bien troussés et surtout les personnages sont surprenants. Les références historiques font sourire comme la description d’un jeune peintre de Provence, « il s’appelle Cézanne, c’est peut être un nom à retenir » ou encore un débat sur l’immensité de l’univers qui ne peut être que l’orteil d’un Titan. La vision de la science est celle du XIXème et ceci explique certainement aussi la manière qu’ils ont tous d’analyser les situations, l’atome n’était alors qu’une idée. A la fin de l’ouvrage, un descriptif des personnages permet d’apprécier à leur juste valeur leurs caractères légèrement déjantés.
Ce premier tome est donc une réussite et les illustrations, malheureusement trop rares, sont très représentatives de l’ambiance et donnent le ton au Club Diogène. L’éditeur, La Clef d’argent, petit éditeur bricolo mais exigeant, nous montre ainsi la qualité de son travail. A découvrir.