Mangeforêt
La série Darken, dont Mangeforêt est le deuxième opus, est née de la conjonction de l'imagination débridée de trois individus : Igor Polouchine, créateur de jeux de rôles, Bernard Rastoin critique de BD (chez Bo-DoïC) et de romans (dans la revue Backstab) et Christophe Swal, illustrateur notamment de jeux de rôles (Guildes et Hawkmoon entre autres). Le point commun entre ces trois hommes ? Shaan : le jeu de rôles créé par le premier, novellisé par le second et illustré par le troisième. Logique dans ces conditions que le trio se retrouve autour de ce projet BD qui propulse Shaan plus loin encore dans le multimédia, et ce, sans l'adjonction du moindre microprocesseur.
Jadis, l'Héossie n'était que paix et harmonie
Shaan (édité chez Halloween Concept) a fait partie de ces jeux de rôles de création française des années 90 qui ont su se ménager un petit succès dans un marché pourtant pléthorique et méchamment américanisé. La raison de ce succès tient sans doute au thème de ce jeu de rôles que l'on pourrait qualifier d'hybride entre une science-fiction mêlée de créatures fantastiques et de magie. Plus proche d'Earthdawn que de Shadowrun cependant : la planète Héos abritait jadis une civilisation pluri-raciale dont tous les membres (de neuf types différents plus précisément, tous très hauts en couleurs) vivaient en harmonie les uns avec les autres, mais depuis l'arrivée des humains, ils ont été séparés, parqués dans des réserves ou exterminés. C'est dans ce climat de violence et de rébellion que se déroulent les aventures de Darken.
La révolte gronde
Séparés au cours de leur jeunesse, Kelmar et son frère aîné Lorik, se retrouvent enfin. Seuls survivants d'un village darken anéanti par les humains, ils nourrissent tous deux une haine farouche envers l'envahisseur. Mais leurs armes paraissent bien négligeables face à la technologie développée par les humains.
Comment leur résister ? La magie pourrait être la voie, en tout cas c'est celle qu'emprunte Lorik tandis que Kelmar l'irréfléchi se jette dans la gueule du loup à la première occasion : d'après les informations de la rébellion, leurs parents pourraient être prisonniers d'une machine humaine qui sert à défricher la forêt. Malheureusement, à peine atteignent-ils le Mangeforêt qu'ils sont faits prisonniers par l'escadre qui protège la machine. Aussitôt réduits en esclavage, Kelmar et ses compagnons sont soumis aux travaux forcés et à de sombres expérimentations biologiques. Difficile dans ces conditions de partir à la recherche de sa mère. Pourtant le temps presse, car les nouvelles ne sont pas bonnes…
Un digne héritier
Mangeforêt s'est révélé une heureuse surprise. Au premier abord, je n'avais pas franchement été séduit par la série, car si le dessin est plutôt agréable et fidèle à la ligne de Shaan, je ne suis pas fan des couleurs qui manquent cruellement de demi-teintes. Ajouté à quelques mauvaises idées (typographie du titre, la coupe de cheveux et les moon-boots de la woon...), cela concorde à donner un aspect série B à cette BD qui mérite mieux.
Car Darken met en scène avec une violence assez fulgurante une humanité sans scrupules avilissant un monde qui n'avait pas besoin d'elle, et en ces temps d'eaux troublées au gasoil, ce message acquiert une résonance toute particulière. Darken se veut donc le digne descendant de Shaan dont il garde la violence qui flirte parfois avec un certain militantisme. Le scénario de la quête des darken se mêle habilement aux intérêts de la rébellion, le tout dans une série qui se construit pas à pas, avec intelligence et efficacité. Bref, une série à découvrir sans hésiter.
(Juste un conseil : ne vous fiez donc pas à ce que disent les critiques de Darken sur les sites qui ne font que copier-coller la plaquette de presse, car des changements de scénarios ont apparemment eu lieu entre-temps. A bon entendeur.)