L'OEil Fé - Seconde partie
Guillaume Sorel et Mathieu Gallié sont tous les deux très inspirés pour faire vivre ce personnage atypique qu'est Algernon. La série qui devrait se dérouler en huit albums à raison d'une histoire en deux volets à chaque fois ne nous déçoit pas pour cette première histoire complète. Sorel, qui a la puissance graphique des grands dessinateurs, a un style reconnaissable entre mille. Chacune de ses bandes dessinées est une invitation à l'étrange et il manie sa narration avec brio. De
Mother à
Typhaon, il promène ses pinceaux dans des univers tourmentés. Il officie également en tant qu'illustrateur. Il a ainsi réalisé de nombreuses couvertures pour les livres de Thomas Day dont
L'Instinct de l'Equarrisseur ou
La Voie du Sabre. Cependant, il ne se cantonne pas à cet auteur. C'est presque naturellement qu'il illustre la couverture d'un recueil remodelé de Poe,
Le Masque de la mort rouge chez Folio, puisque ce grand fantastiqueur est l'un de ses écrivains favoris. Denoël pour sa collection Lune d'Encre fait régulièrement appel à lui : pour preuve, il a illustré un des derniers livres parus,
L'Echiquier du Mal de Dan Simmons. Il sait surtout s'entourer d'excellents raconteurs d'histoires qui ont souvent les mêmes références littéraires et picturales que lui. On peut citer Dieter, le scénariste du très réussi
Anges dont les dessins sont de Boiscommun et qui a collaboré avec Sorel sur
Typhaon. Mais aussi Mathieu Gallié avec qui il partage l'amour des récits fantastiques et du bon whisky. Gallié est un scénariste venu à la BD par hasard. Ses scénarios ne sont pas toujours égaux, loin de là. Il y a un fossé entre le magnifique
Mangecœur d'une poésie cruelle et
Wendigo qui n'a pas tenu ses promesses. Avec le personnage d'Algernon, ce médecin de petit taille confronté à des phénomènes surnaturels, il a trouvé un excellent filon. Il ne tient qu'à lui de développer des histoires que l'on espère denses autour de ce héros particulier.
Lande écossaise et mystères Algernon avait disparu à la fin du premier tome après avoir perdu son œil. C'est en toute logique que ce deuxième volet s'ouvre sur lui. Caché chez l'habitant pour faire le point, il décide après de longs jours de réflexion de revenir dans la ville d'Oban afin de mettre un terme à son enquête. Il retrouve petit à petit tous les protagonistes du début de son aventure à commencer par l'étrange vieille femme qui semble être dotée, elle aussi, de l'œil Fé. Il tombe ensuite, par hasard, sur le valet des Penduick dont la jeune amie va faire de grandes révélations. La clef de toutes les interrogations d'Algernon semble se trouver derrière la porte de cette étrange maisonnée qui a abrité les Penduick, ce couple peu ordinaire. Les jeunes parents viennent d'ailleurs de quitter précipitamment la ville.
Attention aux chants des Sirènes… Nous retrouvons donc notre héros pour la résolution de l'énigme proposée dans le premier tome. Algernon a changé, les évènements marquants par lesquels il est passé et surtout le don qu'il a acquis l'ont profondément transformé. Il ne pouvait en être autrement. Plus direct, il est aussi plus introverti, manie un humour teinté d'ironie. Le personnage s'est étoffé, a une densité nouvelle. Gallié se plonge avec un plaisir évident dans le mode narratif des récits fantastiques dix-neuvièmistes. Il ne livre pas toutes les clefs de son histoire et laisse planer une ombre. Le lecteur doit faire un effort de compréhension, tout ne se donne pas à voir et à comprendre instantanément. Le voile n'est que partiellement soulevé, il faut faire appel à son imagination et à son sens de la féerie pour se laisser bercer par l'irrationnel. Tout est teinté de cette "
étrange étrangeté " dans laquelle le récit puise sa force et sa poésie. Car il y a de belles scènes poétiques dans Algernon telles que ces magnifiques vignettes avec un ciel bleu étoilé, un bleu auquel Sorel ne nous avait pas habitué. Cette initiative est d'autant plus heureuse qu'elle oblige Sorel à rompre avec ses conventions de couleurs pour se mettre au service de l'histoire. Ce monde féerique et poétique empli de mystères a la puissance d'évocation des grandes légendes et c'est avec un rare plaisir que l'on s'y plonge sans retenue.