Destination 3001

Destination 3001

On connaît l'amitié qui unissait les deux hommes. Et ce projet un peu fou d'une anthologie mondiale, est né ainsi, entre amis, autour d'un couscous, à l'aube du troisième millénaire. L'imminence de l'An 2000 faisant tomber l'une des frontières mythiques de l'Imaginaire, c'est tout naturellement que le regretté Jacques Chambon lança qu'il fallait tourner son regard vers un autre point limite.

Et pourquoi pas le quatrième millénaire ?

C'est là que le second larron de l'histoire entre dans la danse, en mettant à sa disposition une nouvelle sur ce thème et qu'il venait d'achever pour le magazine Playboy. L'abus de Boulaouane aidant, les deux hommes évoquent alors la possibilité de composer une anthologie toute entière tournée vers ce nouveau point focal de l'anticipation. Anthologiste lui aussi, Robert Silverberg se propose de battre le rappel auprès de ses confrères. Chambon songe, lui, à certains des meilleurs auteurs français. Résolus à ne pas s'arrêter en si bon chemin, les deux amis envisagent alors de contacter d'autres novellistes anglais, italiens ou allemands.

Et de fait, après moult péripéties éditoriales, force est de constater qu'il est au fond plus rapide de chercher qui n'est pas au sommaire de Destination 3001. Tout ce que la science-fiction mondiale compte de plus excitant  ou presque – voisine ici dans une promiscuité jubilatoire.

Du bel exercice de style de Joe Haldeman, qui ouvre les hostilités, à la mélancolique ballade de Christopher Priest, on voyage d'un quatrième millénaire à l'autre. Si Ayerdhal nous démontre que, décidemment, savoir commencer une nouvelle est tout un art, c'est Serge Lehman qui en remontre à certains de ces prestigieux voisins. Son Temps des olympiens est un tel bijou de maîtrise, qu'on en vient à le détester de ne plus publier de SF. Si le couple Haber / Silverberg prend le parti pris de la légèreté, Valerio Evangelisti, Orson Scott Card ou même Nancy Kress, ne se laissent guère aller à l'optimisme.

Et c'est précisément là qu'est toute la richesse de cette splendide anthologie : un formidable éventail de visions. Comme si l'arbre de l'An 2000 avait caché la perspective de ce futur invraisemblablement lointain, la totalité des auteurs ici rassemblés, semble avoir été stimulée par le défi de cette nouvelle frontière. Une frontière inconnaissable mais vers laquelle aucun n'a cheminé d'un coeur léger. Car il plane sur la totalité de ces nouvelles l'ombre d'une menace. Celle-la même que nous faisons peser sur notre avenir. Aucun de ces récits, tous inédits, n'est exempt des stigmates de nos excès. Et c'est peut-être pour cela que Destination 3001 fait mouche : il redonne à la science-fiction sa fonction de pythie, encore qu'en l'espèce les Parques offriraient sans doute une comparaison plus appropriée. Loin du grand guignol putassier de certaines des productions en vogue en ce moment, on se retrouve ici en terre familière. Celle d'une science-fiction qui choisit de faire voile vers notre futur, chargée du fardeau de la lucidité. Et quand cette lucidité est servie avec autant de brio, il est impossible d'en faire l'économie.