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Le Cabinet chinois

Nancy Peña (Scénariste, Dessinateur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/10/03  -  BD
ISBN : 2849530018
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Nathalie   - le 20/09/2018

Le Cabinet chinois

Née à Toulouse en 1979, Nancy Peña s’oriente dès la seconde vers le dessin. Elle suit la voie royale vers l’enseignement puisqu’elle passe par l’ENS et décroche son agreg. Après avoir animé durant huit mois une série sur Internet avec Vincent Riou, Les Carpates, elle se lance dans la bande dessinée. Elle prépare actuellement une « suite » au Cabinet chinois (d’après son site Internet une « histoire avec des voyageurs chinois et des acteurs de théâtre qui croiseraient le chemin de Magriete ») et un album intitulé La Guilde de la mer.

« La femme appartient au Moyen Âge, l’homme franchit seul le seuil d’un nouveau siècle »

Ainsi raisonne Corneel quand il abandonne derrière lui ses études à l’Université, « pute de l’église » et sa fiancée la prudente Magriete pour répondre à l’offre d’un mystérieux commanditaire de pratiquer ailleurs la vraie science. A peine Corneel parti vers sa nouvelle vie, Magriete est enlevée pour être, auprès d’un riche marchand d’étoffes, le portrait vivant d’une femme flamande dont le marchand s’est épris en Chine et dont Magriete est le sosie. Et si cette condamnation à ne plus être que le double reclus d’une autre aidait Magriete à se révéler ? Corneel enfermé au sous-sol de la même bâtisse dans la vapeur des cornues saura-t-il se préserver de la fièvre de l’avidité ?

Anamorphoses et métamorphoses

Malgré la séparation décidée par Corneel, le destin des deux fiancés est encore très lié puisqu’ils sont tous les deux instrumentalisés par le même marchand. Celui-ci a placé auprès de Corneel une troublante assistante dont le visage est couvert par un voile qui ne laisse voir que sa bouche et auprès de Magriete un serviteur dont le col remonté masque la partie inférieure de sa figure. Cette inversion préfigure l’évolution des deux personnages, évolution opposée comme une forme et son reflet dans le miroir.

L’univers de Magriete au départ semble un peu frustre composé de matières brutes comme la pierre ou le bois mais dès qu’elle prend place dans le carrosse du marchand, cela évolue le tissu dont est tendu l’intérieur de la voiture (celle-ci devient par ce détail une sorte de première antichambre des préoccupations esthétiques du marchand) comporte des motifs raffinés.

L’album s’ouvre par une composition circulaire assez resserrée (les gradins de l’amphithéâtre vus en plongée) à laquelle fait écho les anneaux que forment le corps enroulé du serpent et le labyrinthe de verdure que veut faire élever le marchand pour garder Magriete captive.

La dernière planche n’a pas de cadre : même si elle retourne volontairement vers l’intérieur de Verzegeldhuis (la demeure du marchand), Magriete a gagné sa liberté.

L’œuvre au noir… et blanc

Le dessin de Nancy Peña, inspiré par la gravure, joue beaucoup sur les volumes et les épaisseurs : les traits des scènes réelles sont appuyés et nombreux alors que celles qui s’esquissent dans le cabinet chinois (et relèvent peut-être de l’illusion) sont très fins, épurés, suggérés presque. Mais les effets répétés de volute (dans le baldaquin du lit de Magriete, dans les vapeurs du laboratoire d’alchimie) plongent régulièrement le lecteur dans une ambiance de l’entre-deux, le mènent à la frontière floue entre rêve et réalité.

Lors de l’affrontement entre Magriete et le marchand, dans les plans très resserrés sur ces deux personnages, le contour des lettres démesurément grandes dans les phylactères se brouille, les traits des protagonistes aussi comme déformés par la tension.

N’en déplaise aux suspicions sans concession du marchand qui avertit Magriete en ces termes « Si vous saviez vraiment lire, vous sauriez que les mots sont aussi trompeurs et volages que ceux qui les profèrent et que les seules promesses valables sont les gages des prêteurs. », cet album de Nancy Peña est plus que prometteur et on est impatient de la voir rajouter des pièces à sa construction vertigineuse.

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