L'édition, c'est un peu comme la reproduction. Deux stratégies s'opposent : la quantité ou la qualité. Au Fleuve Noir, dès 1951, le choix était on ne peut plus clair : on inonde le marché ! Et 2001 titres plus tard (seulement pour la collection Anticipation), que reste t-il ? A tout casser, une petite centaine de bons bouquins et quoi ? une vingtaine d'auteurs talentueux ? C'est pas bien lourd et pourtant cette stratégie se justifie lorsque cela permet au final de révéler un Wul, un Steiner, un Dunyach, un Wagner, un Ayerdhal ou ici un Canal…
Une réédition bienvenue
Animamea, publié au Fleuve en trois volumes en 1987, est une authentique perle. Richard Canal, alors informaticien en était à ses débuts mais quels débuts ! Très vite, il passa chez J'ai Lu pour y livrer la majorité de ses romans comme son excellente trilogie africaine Swap-Swap, Ombre Blanche et Aube Noire, ou la réédition de son premier livre La malédiction de l'éphémère. Globe-trotter professionnel, après avoir passé une vingtaine d'année en Afrique, il réside aujourd'hui en Asie.
Deux hommes désespérés et un orphelin
Fabrice veut mourir. Bien qu'il soit à la tête d'une colossale fortune, il recherche désespérément la mort durant des jeux de hasard aussi légaux que fatals. Durant une de ces épreuves, il se lie avec un homme qui lui confie son fils juste avant de mourir. Fabrice va donc adopter Rudy et tous deux vont partir à la recherche d'une planète mythique sur laquelle - dit-on - parviennent et survivent toutes les âmes humaines.
Chris Nelson est la figure emblématique du plus grand groupe de rock du moment (une sorte de Pink Floyd des années 2600). Il va régulièrement voir son ami Syd Harriett (ça rime avec Syd Barrett, non ?) interné dans un monastère à la suite d'un accident. Bien qu'ayant perdu la raison, il continue à composer les poèmes, qui une fois mis en musique par Chris, font le succès du groupe. Un jour, lors d'un concert, Andy, le fils de Chris est tué dans un accident. Le père n'arrive pas à se faire au clone qui le remplace.
Car dans cet avenir là, on ne meurt pas, monsieur, on ne meurt pas…
Chacune des deux histoires aurait été assez bonne pour constituer deux livres différents. Bien qu'il les fassent se rejoindre, l'auteur nous entraîne à la recherche du paradis terrestre et nous mène après quelques fausses pistes vers un final d'une puissance rare. Evoquant tour à tour Le monde du Fleuve de Farmer pour la création de la planète Animamea, Limbo de Bernard Wolfe pour le masochisme de cette société d'où la mort est écartée, l'écriture de Jean-Claude Dunyach pour la poésie douce amère, ce roman est absolument fascinant.
Un space opera français totalement réussi : champagne !
Richard Canal nous offre un livre magnifique. A la fois poétique et dur, philosophique et violent, il va jusqu'à frôler par moment le sublime. Pêle-mêle on retrouve dans Animamea une réflexion sur la mort, Dieu, une possible après-vie, la religion, les sectes… Bref, avec un style ciselé sans jamais tomber dans le grandiloquent, il donne un space opera métaphysique de toute beauté. Le must de la fin 2003 ! et sûrement d'une bonne partie de 2004…