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Photo de Nicolas Eymerich, Inquisiteur

Nicolas Eymerich, Inquisiteur

Valério Evangelisti ( Auteur), David Sala (Illustrateur de couverture), Serge Quadruppani (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 29/02/04  -  Livre
ISBN : 2266141694
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charlotte   - le 27/09/2018

Nicolas Eymerich, Inquisiteur

On ne présente plus Nicolas Eymerich le plus célèbre Inquisiteur du Moyen Âge né sous la plume de Valerio Evangelisti. Ce personnage est le héros du roman éponyme, premier tome d'une saga qui compte à ce jour huit volumes, qui est parue en 1994 en Italie avant d'être diffusée en France en 1998. Premier livre publié par Evangelisti, Nicolas Eymerich, Inquisatore connaît un engouement immédiat auprès du public mais aussi auprès des spécialistes : il reçoit le prix Urania 1994. Même succès en France, le livre est récompensé par le Grand Prix de l'Imaginaire 1998 et le prix Tour Eiffel de la même année. Récemment, Zetner et Sala ont adapté ce roman en bande dessinée pour Delcourt. De par sa notoriété, due autant au succès commercial de ses livres qu'à ses prises de positions dans des journaux d'opinion, Evangelisti touche aujourd'hui un public vaste : du lecteur féru de SF au militant de gauche adepte du Monde Diplomatique (qui lui a ouvert plusieurs fois ses pages) en passant par l'amateur de récit historique, son audience est large. Nicolas Eymerich, Inquisiteur est réédité aujourd'hui dans une édition de poche dont la traduction a été entièrement revue par l'auteur lui-même. Vous n'avez plus aucune excuse pour ne l'avoir toujours pas lu.

Une alternance entre trois époques pour mieux souligner un jeu sur les trois genres qui composent ce roman : l'historique, le fantastique et la science-fiction

Trois époques distinctes dans lesquelles évoluent des êtres dont les destins vont interférer. Seul lien apparent, dans les trois époques sévissent des prêtres que la Foi loin d'éclairer a obscurci.

Le présent : un scientifique, Marcus Frullifer, aux allures de savant fou tente de rentrer à l'Université afin de poursuivre ses recherches sur les effets des psytrons. Personne ne prend au sérieux ses théories jusqu'à ce qu'un parti extrémiste mené par un prédicateur accède à la Maison Blanche.

Le futur : 2194, un rescapé de l'astronef psytronique Malpertuis dépose son témoignage auprès de la Commission internationale de Carthagène. On y apprend qu'un équipage dirigé par le commandant Prometeos et l'abbé Sweetlady (sic) part à la recherche de la planète Olympe pour une mission dont personne ne connaît le réel enjeu. Grâce aux psytrons, ils se projettent dans le passé mais n'atterrissent pas à la période voulue, on est en 1352 au lieu de 36 après J-C.

Le passé : 1352, un prêtre fanatique, cruel et misogyne parvient à la fonction d'Inquisiteur général du royaume d'Aragon par ruse. Pour ses premières enquêtes, Nicolas Eymerich est confronté à d'étranges phénomènes. Des enfants bicéphales sont retrouvés égorgés, une femme immense apparaît dans les nuages et l'on assiste à une résurgence du paganisme. Le culte archaïque dédié à Diane menace la Sainte Eglise et un mystérieux roi, le rex nemorensis, attend son heure. Tous ces évènements sont bien trop proches du pouvoir, Nicolas Eymerich devra déployer toute son intelligence et suivre son goût pour les intrigues afin de démêler les fils et traquer les hérétiques.

Le moteur du récit est sans conteste le personnage d'Eymerich, charismatique et dangereux

La réussite du roman tient beaucoup à son personnage principal, Nicolas Eymerich. Si le lecteur suit trois histoires, dont les fils vont finir bien évidemment par s'entrecroiser, la plus grosse partie du récit relate les aventures de l'Inquisiteur. L'histoire personnelle de Nicolas Eymerich se mélange à celle de l'Espagne et de la royauté. Ainsi, l'on est face à un roman hybride qui se joue des codes traditionnels de tous les genres : historique, policier, fantastique, science-fictif... Par exemple, l'intrigue n'est pas seulement fantastique, elle est aussi et surtout politique avec en son centre un complot contre Pierre IV Roi d'Espagne, des luttes intestines entre les Franciscains et les Dominicains ou des luttes de pouvoir entre la noblesse et le roi.

En faisant se télescoper les époques, Evangelisti crée un roman original et fort, dont la figure d'Eymerich se détache du fond. La plume souple et agile de l'auteur fait passer le lecteur du passé au présent au futur avant que nous comprenions que les trois temps sont liés intrinsèquement. On découvre alors une trame narrative encore enrichie. Le lecteur détient des clefs que les personnages n'ont pas ; ce qui apparaissait comme fantastique dans le passé est expliqué par la science du futur. Les personnages du Moyen Âge sont obligés d'ériger des croyances afin d'expliquer des évèénements irrationnels, l'occasion pour l'auteur de plonger au cœur même de l'obscurantisme.

Valério Envagelisti construit son roman avec patience, il prend son temps, avant de lever le voile ultime. Le récit à la structure complexe est intense et prenant : plus que Diane, c'est Janus qui le gouverne. En effet, le thème du double -voir du triple- est largement développé. La figure de Nicolas Eymerich n'y est pas étrangère. Ce personnage est une énigme pour le lecteur. Comment le narrateur s'y est pris pour que l'on s'intéresse autant à lui, que l'on suive avec un vif intérêt son enquête ? Il s'inscrit dans la filiation de deux autres prêtres célèbres, le moine dans le roman éponyme de Lewis et l'enquêteur, l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, du Nom de la Rose d'Umberto Eco. Evangelisti parvient avec ce personnage antipathique à révéler le côté obscur que chaque homme a en lui, un Eymerich sommeille en chacun de nous… Il est terrifiant de lui trouver des qualités que le narrateur ne manque pas de mettre en avant. Par exemple son courage, Eymerich comme les autres protagonistes de l'histoire a peur devant les phénomènes surnaturels qui se produisent mais au lieu de s'enfuir ou de se voiler la face, il affronte cette peur. De même, il est d'une intelligence rare, sait faire semblant de perdre pour mieux gagner plus tard, d'aucun pourront dire qu'il a l'intelligence du diable. Il est d'une logique implacable et relie facilement entre eux les divers événements et indices afin de pouvoir en tirer les conclusions qui s'imposent, à la manière d'un Sherlock Holmes en robe de bure.

Si le passé, historiquement vraisemblable, est traité de manière sérieuse avec un style d'écriture proche du policier, l'auteur est plus volontiers farceur lorsqu'il parle du futur ou du présent. Dans le futur les personnages sont affublés de noms aussi grotesques que carnavalesques à l'image du commandant Prometeos, détournement parodique de Prométhée, ou l'abbé Sweetlady (franchement faut le faire). Lorsqu'il fait se dérouler l'intrigue du présent, Evangelisti souffle le chaud et froid. Il met en scène une parodie des théories mathématiques et physiques les plus folles, l'auteur invente les "psytrons". Le scientifique Frullifer a d'ailleurs tous les atours du savant fou et le paranormal trouve des explications pseudo-scientifiques. L'exposition par Frullifer de sa théorie en devient totalement grotesque et contrefait le charabia scientifique, de la même manière que Jules Verne l'a fait en son temps en parodiant certains traités scientifiques. Qui veut chercher dans ce roman la rigueur de la Hard Science sera déçu, Evangelisti s'amuse des théories scientifiques, crée la sienne à laquelle il ne croit certainement pas. Les "psytrons", idée géniale pour expliquer l'inexplicable, un peu d'espace-temps, des énergies psychiques volatiles, des médiums réceptacles, bref l'auteur ne se prend pas au sérieux et n'échafaude aucune théorie rigoureuse. Tout cela fait de Nicolas Eymerich, Inquisiteur une œuvre devenue incontournable, à lire ou relire de toute urgence.

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