Dérobade

Dérobade

A trente ans, ce nouvelliste habitué des fanzines, prozines et autres revues nous livre son premier recueil chez L'Oxymore. En 2003, sa nouvelle L'affaire des Elfes Vérolés a remporté le prix Merlin. Voici onze textes histoire de faire connaissance avec un jeune auteur bien sympathique…

Du fantastique gothique à la SF politique

Même si on sent encore un côté amateur chez Jess Kaan, Dérobade est dans l'ensemble d'une lecture agréable car recelant de très bonnes surprises. Le texte le moins bon est sans doute Quand Lune Saigne qui ouvre le présent recueil (et qui aurait d'ailleurs mieux fait de rester au sommaire de l'anthologie Lilith et ses sœurs). A priori, l'auteur ne maîtrise absolument pas les scènes d'amours (les formules employées font malheureusement penser aux feulements bourrés à la testostérone d'un certain Helmut qui sévit tout les matins sur Ouï FM). De plus, son final voudrait être un coup de théâtre à la Matheson, mais là encore, le manque de maîtrise dessert le texte. Bref, dans le style lyrico-gothique, Jess Kaan n'est pas à sa place, non seulement ce texte plombe le début du recueil mais en plus fait craindre le pire. Heureusement, il ne se cantonne pas à un seul registre et la diversité est sans doute une de ses plus grandes qualités.

Alléchant…

London Calling, comme son nom ne peut que l'indiquer est un hommage aux Clash et aux punks de tous les (espaces)-temps. L'ambiance et l'ampleur de ce qui nous est dévoilé donne envie d'un développement en roman. Sans en dévoiler trop, vous y trouverez pêle-mêle une enquête policière, un univers parallèle dans lequel rien n'est impossible, un dîner entre puissants de ce monde, le tout saupoudré de steampunk…

Vient ensuite Dionée, un très bon texte fantastique où cette fois-ci le final est à la hauteur de l'attente. Un soir, un inconnu débarque dans une famille tranquille en demandant de l'aide. Il prend l'enfant en otage devant les parents médusés et demande au père de les conduire dans une maison proche.

Blanche neige va vous faire votre fête !

On change radicalement de registre avec Katzenstreu et An Urban and Modern Faery Tale - enfin presque pour taquiner nos zygomatiques. Le premier évoque une hantise aussi originale que cruelle. Quand au second, c'est un délire où les univers des contes de Grimm et de Perrault mettent l'apocalypse en branle en jouant à Fight Club. Délire Pratchettien à gogo : est-ce que l'unique descendante d'Andersen pourra empêcher la fin du monde ? On regrettera juste de ne pas avoir eu un aperçu du cycle du privé Triton qui - dans cette veine - lui avait valu le prix Merlin 2003.

Un clin d'œil à Holdstock ?

Dérobade s'inspire de la forêt, du mélange d'attirance et de mépris que l'humain a pour elle. Il y a de la rébellion dans l'air… Rustbelt et Iliana Letchawa 2037-2070 sont aussi des textes politiques. Ils gagneraient tous deux en crédibilité s'ils étaient un peu moins manichéens. La critique socio-politique manque de trop de maturité pour être tout à fait crédible.

Le Bayou qui clôt ce recueil est sans doute son texte le plus poétique même si la critique du capitalisme par la description du commercial-aux-dents-qui-rayent-le-parquet manque là encore de finesse. Le reste du texte emporte malgré tout l'adhésion. Idéal pour faire connaissance

Pour conclure, malgré ses (petits) défauts de débutant - rappelons que ce jeune auteur n'a qu'une trentaine de nouvelles à son actif - Dérobade est une excellente introduction à son univers. Jess Kaan est en pleine construction lorgnant encore du côté de ses aînés tout en acquérant savoir-faire et originalité. Avec Sukkal, il met en place une mythologie post-apo où des anges se livrent à une chasse à l'homme. Là encore, le texte pourra exercer une certaine fascination sur le lecteur et montrera un auteur en plein apprentissage. On ne regrettera pas l'investissement des 13.80 euros pour ce beau livre qui a de gothique plus l'aspect que réellement le fond.