En France on ne connaît pas assez Walter Jon Williams. C'est un tort. Auteur américain qui s'est fait connaître en 1986 au sein de la mouvance cyberpunk, il n'a pas tardé à prendre les distances qui convenaient d'avec ce mouvement mort-né. Loin de s'échouer comme la plupart de ses condisciples, il n'a depuis cessé d'étonner par son éclectisme.
Avec Mélancolie des immortels il se risque à un space-opera de facture classique. Loin de l'univers baroque de sa trilogie de Divertimenti (dont seul le premier volume a été traduit à ce jour), c'est avec un parfum d'empire finissant qu'il ouvre ce qui n'est pour l'heure annoncé que comme un diptyque.
Le petit Shaa est mort
Les Shaas furent les plus grands conquérants de l'Univers. De leur invincibilité résulta un empire conquis sans coup férir, et la propagation de la Praxis. Opus Magnus et véritable ciment de la civilisation des Shaas, la Praxis est une doctrine tout entière construite sur le respect des structures hiérarchiques les plus strictes. C'est ainsi que des millénaires durant ces immortels souverains furent en mesure de maintenir dans leur giron nombres de races, parmi lesquelles les Naxids, sorte de centaures hexapodes, les nocturnes Torminels ou bien les Humains.
Mais tous les Shaas se donnèrent la mort l'un après l'autre, victimes de l'ennui d'une vie bien trop longue. Aujourd'hui c'est au tour d'Anticipation de la Victoire, le dernier d'entre-eux, de songer au suicide.
D'autres Shaas à fouetter
Et pour le Lieutenant Lord Gareth Martinez c'est une catastrophe. Fils de hobereau "monté à la capitale", il avait fait jouer ses relations pour s'assurer une promotion rapide au sein de Pairie, l'élite de l'Empire. Grotesquement riche, mais désespérément provincial - comme en témoigne son accent épais - son affectation aux côtés du Commandant en chef de la Flotte aurait dû faire l'affaire. Mais seulement voilà ; pour redorer le blason de son clan, ce dernier a décidé de suivre Anticipation de la Victoire dans l'autre monde. Dès lors tous les plans de ce jeune Rastignac d'outre espace sont à l'eau. Il va devoir composer.
De son côté, la studieuse cadette Lady Caroline Sula, s'ennuie si ferme à bord du croiseur Bombardement de Los Angeles qu'elle se porte volontaire pour une périlleuse mission de sauvetage mise au point et téléguidée depuis l'amirauté par un jeune lieutenant à l'atroce accent provincial.
Quand le Shaa n'est pas là les souris dansent
Au travers de ses deux personnages, comme toujours parfaitement plantés, Walter Jon Williams nous offre le tableau d'un empire fossile, ou de nombreuses espèces infantilisées des siècles durant par une race toute puissante, se retrouvent seules héritières d'un empire bien au-dessus de leurs moyens.
C'est là un décor riche et délicatement déliquescent où les accords du Rule Britannia ne sembleraient pas incongrus. Rien n'est vraiment original dans ces intrigues de palais, ces combats spatiaux déjà vus. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment surprenant tant le genre peine à se renouveler. Mais le style de Williams, son humour et la distance qu'il sait prendre avec son sujet, nous épargne aussi bien les poncifs éculés que les expériences les plus imbéciles. Par conséquent ni sous Jedi ni Al Capone revenus d'entre les morts, mais deux protagonistes habilement mis en scène au milieu de cette fin d'époque qui permet soudain les plus folles ambitions. On pense plus ici aux grandes épopées napoléoniennes, qu'aux tristes romans de fantasy rhabillés d'une fine couche d'exotisme alien, devenus trop symptomatiques hélas de la production space-opera de ces dernières années. Au contraire, leste et enlevé Mélancolie des Immortels s'avale d'une traite, presque trop vite, surtout si l'on doit encore attendre pour avoir la suite. Et là, et bien, voyez-vous, j'attends déjà…