La Guerrière oubliée
Auteur du roman les Fils de la Sorcière, Mary Gentle est encore peu connue en France. Cette anglaise de 48 ans mérite pourtant un accueil triomphal, ne serait-ce que parce qu'elle représente ces auteurs qui ont résisté au côté obscur de la fantasy féminine, la niaiserie…
Rien d'une sainte
Le projet que le professeur Pierre Ratcliff a mis en place défraye la chronique : écrire une version romanesque des chroniques de Cendres, pour rectifier une erreur de l'histoire. Il tente donc de tracer, avec l'appui attentif et dubitatif de sa directrice littéraire, le portrait de Cendres, femme mercenaire du XVeme siècle, que le Lion a marqué de sa patte et qui entend la voix d'un saint… Cendres n'est pas une héroïne figée dans son rôle : courageuse, maniant la langue des soldats aussi bien que l'épée, elle doit lutter contre les golems de pierre des Carthaginois et sa propre condition, rendue doublement difficile par sa position sociale et son sexe.
Il fallait y penser…
A quoi ? A une héroïne jouant sans cesse avec la réalité fantaisiste. Anti-Jeanne d'Arc, ancienne catin, grossière, ambitieuse, Cendres semble bien être le personnage que l'on attendait, dans le morne paysage de la fantasy actuelle. C'est une femme, oui, mais nullement dérangée par les atouts que l'on prête à son état… Elle ne porte ni corset en cuir, ni longs cheveux brushés, mais un gorgerin, des tuniques, embaumant la sueur et le vin, et des hématomes…
Si le début reste déconcertant - on s'attend à une peinture sombre du XVeme, une fois les deux premiers chapitres lus -, la majorité du roman nous entraîne dans l'histoire riche et inhabituelle d'une héroïne à laquelle on voudrait croire. L'angle choisi par Mary Gentle ne manque pas de courage, lui non plus : les interventions du chercheur et de sa directrice littéraire, bien loin d'alourdir le livre, démontrent un souci de véracité comique, un jeu stylistique constant entre l'auteur et le lecteur et confirment par cela l'idée que Cendres est bien l'anti-Jeanne d'Arc que l'on attendait !
Non polluée par une appartenance symbolique à des groupuscules fielleux, hors des débats religieux et historiques, Le Livre de Cendres apporte à la fantasy ce qu'il lui manquait peut-être jusque là, c'est-à-dire l'intérêt et la forme de la vulgarisation historique et une porte supplémentaire à l'imagination. D'une originalité qu'on n'osait plus réclamer, La Guerrière oubliée porte haut l'étendard de la fantasy ! Si les trois tomes suivants sont du même ordre, préparez-vous à des heures de savoureuse lecture !