American Gods

American Gods

Inutile de présenter Neil Gaiman, pour la 5eme fois sur ce site…Si ce n'est pour souligner sa nationalité britannique, qui ne peut qu'être mise en avant pour présenter son dernier roman, réédité chez J'ai Lu, American Gods… " Ceci est une œuvre de fiction, pas un guide touristique ", souligne Gaiman avec cet humour propre à lui. Une œuvre de fiction ? On en demande la redéfinition. On demanderait même la carte, pour un peu… Quoi de plus réel que l'Amérique vue par Gaiman, pleine de rêves et de souffrances mélangées, portés au fil des siècles par des peuples exilés, exportés, qui ont fait la boucle avec leurs dieux pour remonter à l'origine de tout ? Quoi de plus réel que la lune qui se transforme en pièce d'argent, des leprechauns crasseux, des morts qui courent après leur résurrection et des déesses qui engloutissent les hommes ? Pas grand-chose…La barrière souple de l'enfance franchie, rentrer dans l'imaginaire de Gaiman est toujours un voyage familier, une aventure qui touche de près, une fois de plus, à la mémoire collective et au sens sacré de l'incroyable.

Une carte de l'Amérique et de l'imaginaire

Ombre sort de prison, un peu trop tôt ou un peu trop tard : libéré, trois jours avant la date prévue, pour pouvoir assister aux obsèques de sa femme et de son meilleur ami, il n'a cependant pas le temps de réaliser qu'il est enfin libre et…seul…Un homme du nom de Voyageur (Gaiman aime les choses simples et nous aussi) lui propose un étrange marché, scellé par de l'hydromel et une vague odeur de souffre. Devenu son garde du corps, Ombre se retrouve mêlé à une guerre en préparation, entre les anciens dieux du vieux continent, accrochés à leur ancien culte et les nouveaux dieux de l'Amérique, sous la bannière de la technologique et de la consommation.

Pas si comics que ça

A notre droite, quelques dieux nordiques et saxons, une ou deux déesses africaines et quelques représentants du folklore irlandais sous le costume de super héros de comics…A notre gauche, des entités qui parlent avec la bouche de l'héroïne très kitsch de la série I Love Lucie et des divinités munies de palms et de téléphones portables…Non, non, ce n'est pas la bande annonce d'une mauvaise partie de catch mais bien la grande bataille qui se prépare sous un orage apocalyptique, d'un bout à l'autre des Etats Unis. Et ce n'est, bien entendu, que le fil conducteur…Gaiman utilise non seulement toute la richesse des légendes européennes et de l'Amérique moderne, pour nous mener au bout des 700 pages d' American Gods, mais également celle de l'histoire du pays le plus admiré et le plus détesté du monde. Son histoire, sa littérature, sa géographie…Comme d'habitude, Gaiman fait des digressions, des entrecroisements qui rebondissent juste avant l'essoufflement, mélangeant cette fois-ci le fait divers, le conte, le road novel, la légende et le roman noir. Au fil des épisodes, de nouvelles rencontres amènent le lecteur sur d'autres continents, dans d'autres histoires personnelles, exaltées par le ton subtil de l'auteur et sa parfaite maîtrise de l'épique moderne.

Exaltant !

" Découvrir l'Amérique - laquelle, lorsque je l'ai enfin découverte, s'est révélée résider depuis toujours en Amérique. " Il s'agit bien là d'une Amérique imaginaire, non pas tant par les rêves qu'elle abrite elle-même, mais bien par cette perception crue, riche, effrayante que les Européens en ont, terrorisés par sa puissance et son melting pot, revendicateurs de ses moindres cultes, supérieurs et impuissants en tout. Quant aux personnages, on pense les connaître depuis toujours… Ils ont flirté avec ceux de John Fante, rencontré ceux de Faulkner, dévié pour faire un pied de nez aux alcooliques chers à King et sont revenus sagement sous la plume de Gaiman, inimitables et personnels…Du grand art !