Le Pays de la nuit
Né en 1877 en Angleterre, William Hope Hodgson s’engage comme mousse à l’âge de 13 ans. Ses aventures marines lui ont inspiré un dégoût pour la brutalité qui règne parmi les hommes d’équipage et deux de ses premiers textes : Les Canots du Glen Garrig et Une voix dans la Nuit. Il a également écrit des nouvelles policières dont le héros était Thomas Carnacki, « détective de l’occulte ». Il est mort à 41 ans dans les tranchées de la 1ère Guerre Mondiale.
Un amour par-delà la mort
Le narrateur s’est épris de sa cousine et après quelques quiproquos, cet amour est payé de retour. Mais la belle Mirdath meurt en couches laissant son époux en proie à l’affliction. Un nouvel espoir naît dans le cœur du veuf car d’étranges visions nocturnes lui promettent que dans un futur très lointain où le soleil s’est éteint, les deux amants seront après moult épreuves réunis.
Une expérience…
Ce livre s’est souvent vu reproché son écriture surannée, pour ma part je trouve ce style décalé plutôt charmant et intéressant du point de vue de la perspective puisqu’il nous livre la vision d’un futur lointain que pouvait avoir un homme du XVIIème siècle né dans l’imagination d’un auteur du tout début du XXème siècle. En revanche, j’ai été plus rebutée par le manque de fluidité dans l’enchaînement et par la répétition (l’interjection « Dieu » est utilisée toutes les deux lignes, quant à la conjonction de coordination « et », elle introduit une phrase sur deux), ce qui place le lecteur dans une impression d’enlisement, de difficulté à progresser, de gestes répétés cycliquement par nécessité, position assez proche de celle du protagoniste.
…De l’empathie…
Car cela semble être la volonté de l’auteur, de nous inviter à éprouver le vécu du personnage. De ménager de l’espace à la subjectivité de son lecteur pour que chacun traverse le livre à sa manière. Ainsi plutôt que de s’attarder sur les descriptions des créatures hostiles et monstrueuses, dépeindra-t-il les effets qu’elles ont eus sur l’esprit du narrateur, au lecteur d’induire de ces conséquences les caractéristiques qui le mettraient lui dans les mêmes dispositions. Dans les conditions extrêmes où évolue le narrateur, la survie de la communauté dépend de la solidarité entre ses membres, à nous d’accepter ou non d’établir cette même relation avec le narrateur comme il nous y invite p. 316 : « et je donne peut-être l’impression de rabâcher, car il m’arrive de m’étendre sur un sujet au point de m’en lasser, ce qui risque de s’appliquer également au lecteur. Si c’est le cas, sachez que je ne vous en blâme pas. J’espère seulement que votre compréhension et par extension votre sympathie, m’accompagnera jusqu’au bout de mon voyage. »
…Eprouvante
Envers ces maladresses narratives et stylistiques encore aggravées par de nombreuses coquilles, je lui ai accordé volontiers par curiosité l’indulgence réclamée. Mais j’ai eu régulièrement envie de fausser compagnie à l’auteur, voire de le souffleter jusqu’à le laisser exsangue sur le bord de la route à cause de la vision de l’amour véhiculée par ce texte. Certes, le héros risque sa vie à chaque instant pour porter secours à sa bien-aimée mais une fois qu’il l’a retrouvée, il la met au diapason, et fissa. Il prévient plusieurs fois de ses intentions de « la frapper pour lui faire comprendre que je ne voulais pas qu’elle souffre », puis se dédouane des coups qu’il va porter en ces termes : « Je savais qu’elle serait impertinente envers moi et qu’elle m’outragerait, ne faisant pas plus cas de mes sages conseils que de mes désirs légitimes tant que je ne l’aurais pas corrigée pour lui inculquer le respect. Tous ceux qui ont des compagnes sauront ce que je veux dire… » J’ignore si la connivence finale entre hommes fonctionne mais de mon côté, sans jouer les féministes, j’ai trouvé là matière à agacement, d’autant plus que je m’étais préparée à lire un roman d’amour courtois.
Un texte propice à de nombreuses interprétations
Si la lecture du texte n’est pas des plus accessibles, les critiques qu’il a engendrées sont considérables. Lovecraft le tenait pour « l’une des histoires les plus puissantes qu’ait jamais conçues l’imagination macabre » sans doute parce que sa propre créativité s’était largement déployée dans les espaces libres de la narration évoqués plus hauts. Dans l’introduction de la présente édition, Brian Stableford explore le roman à la lumière de la psychanalyse. Vous trouverez d’autres études et interprétations passionnantes en anglais de ce texte sur le site http://home.clara.net/andywrobertson/nightcri.html. Dans cette odyssée cauchemardesque et sans balise, certains « balisent», d’autres s’enlisent, d’autres encore analysent… à vous d’accomplir à votre guise cet initiatique aller-retour entre les deux pyramides…