L’Eau et la Terre
Né au Cambodge en 1961, Séra (de son véritable nom Phouséra Ing) a dû fuir son pays en 1975 lorsque les Khmers rouges ont pris le pouvoir. C’est sur cette période de l’histoire de son pays que Séra a décidé de revenir dans cet album. 112 pages pour raconter l’horreur de la vie de ceux qui sont restés, leur désespoir, leur survie quotidienne et la toute puissance d’un régime qui a fait deux millions de morts en 4 ans.
Autant dire que le sujet est particulièrement poignant. Séra à qui l’on doit les trois tomes des Processionnaires, Retour de Soleil et Impasse et Rouge livre ici son récit le plus intime, sans aucun doute le plus fort. Avec ses mots et avec ses pinceaux il raconte sans concession cette période de cauchemar et de mort. On prend en pleine face plus qu’on ne lit la terreur des héros qui se disent « pas encore morts » plutôt que vivants.
Avec ses encrages sombres et puissants, jouant admirablement sur les ambiances, Séra nous fait toucher du doigt l’horreur, au point de sentir parfois le besoin de faire une pause dans la lecture de cet album à cause de ce sentiment oppressant qui se dégage de ses planches. L’effet est réussi. Comme un certain Auschwitz de Pascal Croci, il a valeur de témoignage. Il fait partie de ces albums qui avec simplicité racontent l’Histoire avec un grand H dans ce qu’elle a de plus terrifiant, surtout au Cambodge. L’œuvre est monumentale. Passionnante dans l’horreur, elle est d’une force qui ne peut pas laisser indifférent. C’est impossible. Un album qui montre que la BD peut être bien plus qu’un média de distraction. Bravo ! Mille fois !