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Stabat Mater

Eric Omond (Scénariste), Boris Beuzelin (Dessinateur, Coloriste)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/03/05  -  BD
ISBN : 2847897151
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charlotte   - le 20/09/2018

Stabat Mater

Eric Omond est né en 1968 à Cherbourg, de son côté Boris Beuzelin naît en 1971 à Alençon. Tous deux se rencontrent aux Beaux-Arts d’Angers où Beuzelin s’est inscrit avec un copain de lycée, Yoann. C’est avec ce dernier qu’Eric Omond crée Toto l’ornithorynque (Delcourt), une série pleine de charmes destinée à la jeunesse et La Voleuse du Père Fauteuil, série publiée dans la collection Poisson Pilote de Dargaud. Ensemble, il monte l’atelier de bande dessinée « La Boîte qui fait Beuh ! ». Ils seront rejoints par Beuzelin qui à cette époque travaille avec Sonia Picard, une auteur pour enfants. C’est en 2002 que paraît L’Epouvantail pointeur (Glénat), premier album de Beuzelin né de sa collaboration avec Omond. En mars dernier, paraissait Fun-House, premier tome de la série Ecarlate (Vents d’Ouest) scénarisée par Omond et dessinée par Rôcé. Nous retrouvons donc rapidement notre scénariste ce mois-ci chez Delcourt pour un one-shot noir et percutant.

”Etre un handicapé du sentiment, c’est ne rien ressentir, ne pas s’émouvoir, être imperméable à toute affection extérieure.”

Ne pas avoir de sentiments, n’être sensible à rien, ne pas vibrer, pleurer, s’émouvoir, s’exalter, ne rien ressentir, c’est le calvaire du héros qui cherche par tous les moyens à briser la glace de ses sentiments atrophiés. Il est devenu photographe de la police pour cela, pour tenter d’être touché un jour par un crime, un corps. Pour la même raison, il se rend dans les peep-shows, et bien qu’il devine l’histoire des jeunes femmes qui se donnent avec au fond un dégoût d’elle-même il n’en est pas pour autant touché, et s’il bande ce n’est pas, selon lui, par sentiment mais bien à cause d’une bête réaction biologique. Un jour qu’il se rend sur la scène d’un crime, il tombe sur une feuille affichée à la devanture d’une épicerie laissée à l’abandon : « ici spectacle de femme nue sans vêtement pas cher ». Il se rend le soir dans cette salle de strip-tease improvisée, et là le miracle se produit : une femme « irréelle, d’une blancheur irradiante », « pleine de vie… » s’offre nue à ses yeux. Les prémisses de ce qui pourrait s’apparenter à un sentiment affleurent en lui. Il revient tous les soirs pour l’admirer mais un jour la représentation est annulée, débute alors sa recherche désespérée pour la retrouver grâce à une piste sanglante.

”Percevoir n’est pas s’émouvoir. Je peux lire la détresse mais elle ne me touche pas.”

Seconde collaboration de Beuzelin et Omond, Stabat Mater est un album qui sous des apparences de froideur se révèle extrêmement attrayant. Récit intimiste et enquête policière sont intrinsèquement liés dans cette histoire narrée à la première personne. Le personnage principal, anti-héros incapable de ressentir la moindre émotion, ne fait aucune concession sur lui-même, se dépeint tel qu’il est, ou plus exactement tel qu’il se perçoit. Insensible même à la mort c’est par l’amour, et non le désir, simple réaction physique, qu’il découvre qu’il est capable de sentiment. D’ailleurs, l’album ne prend clairement tout son sens que dans les dernières planches et grâce au titre qui, loin d’illustrer simplement l’histoire, lui ajoute une dimension supplémentaire tout en l’explicitant.

Le Stabat Mater est un chant liturgique qui rappelle la douleur de la mère du Christ lors de la Passion. On le traduit du latin par « La mère était debout », des mots qui prennent un premier sens lorsque l’on voit la jeune femme nue apparaître sur scène dans une vieille échoppe miteuse transformée en théâtre de fortune. Connaître l’origine du titre change plus particulièrement l’éclairage de la scène finale qui peut s’interpréter de deux façons. C’est bien la mère qui le fait pleurer pour la première fois, la mère et ses douleurs. La ré-interprétation de la figure du stabat mater en lui ôtant tout symbolisme religieux était osé mais force est de constater que cela donne une envergure à l’intrigue qui n’aurait pu être qu’une simple histoire d’enquête, de mystère autour de l’identité de la strip-teaseuse, d’une histoire d’amour maintes fois rebattue.

Si le personnage principal commence à sentir l’émotion affleurer « dans la force de la nudité que [la jeune femme] impose par sa seule pureté », s’il vibre pour elle, il ne connaît le sentiment véritable et bouleversant que face à la mère, et plus encore face à la douleur de celle qui a l’âge d’une mère. Celle à qui le temps et les hommes ont tout ôté, ne pleure pas sur un fils perdu et sacrifié, c’est l’homme qui a l’âge d’être son fils qui verse ces larmes devant sa souffrance. Ce retournement crucial des dernières pages est mise en cases avec pudeur et humilité par Beuzelin. Son trait à la fois réaliste et tranchant tout au long de l’album se fait plus doux et simple dans la conclusion lui donnant par là même plus de force. Un album à s’offrir les yeux fermés.

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