Le Visiteur du soir

Le Visiteur du soir

Un centième livre, cela se fête! Quand c’est la centième parution d’une collection, c’est déjà une belle réussite, mais quand c’est, comme ici, la centième œuvre romanesque d’un auteur largement primé pour ses productions jeunesse, ça tient du phénomène. Auteur prolifique, Hubert Ben Kemoun a déjà été récompensé pour L’heureux Gagnant (prix Sésame 1998 et Protagonista Jove en 2000), Ma Mère m’épuise (prix littéraire des Vosges du jeune lecteur 2000 et prix Roseau d’or 2002) ou encore Blues en noir (prix Tatoulu 2003). Expert dans la narration d’un quotidien qui prend souvent les couleurs de la fantasmagorie, l’auteur nous propose avec Le Visiteur du soir son centième roman, une diatribe à l’égard des "je-sais-tout" incarnés ici par un crapaud éloquent et télévore.

"Punaise, il avait du vocabulaire, le bougre!"

Quelque chose ne tourne plus rond dans la vie d’Agathe. Oh! Ce n’est pas seulement ses histoires de cœur et ce pauvre Jérémy qui semble ignorer royalement non seulement ses efforts pour lui plaire, mais jusqu’à son existence. Ce n’est pas non plus Eléonore dont l’idylle avec son Jean-Philippe semble lui avoir fait perdre tout sens des réalités. Non, c’est plus grave que ça: une saleté de crapaud s’est installé chez elle.
La bestiole, rusée et policée, a su gagner le cœur de ses parents qui, non contents de l’inviter à la séance quotidienne de télévision l’ont même carrément installé dans la chambre d’amis! Un crapaud! Et qui parle encore! Et personne ne semble se soucier de l’incongruité de la chose!
Une bestiole fourbe qui a réussi à faire d’Agathe une étrangère chez elle. C’est clair désormais: l’un d’eux deux est de trop dans cette maison, et Agathe compte bien démontrer à ses parents que ce crapaud hideux les a ensorcelés. Plus facile à dire qu’à faire: conquis par la faconde et l’expérience de vie apparemment sans borne de Jeannot le crapaud, les parents d’Agathe semblent indécrottables. Aussi, ne peut-elle compter que sur elle-même pour bouter le malandrin hors de chez elle. Si seulement elle pouvait puiser un peu de force quelque part, qui sait, dans la cœur de son amoureux?

Détournement habile de conte de fée

Comme à son habitude, Hubert Ben Kemoun nous entraîne dans un univers à la fois quotidien et subtilement décalé. Un univers où la vie d’Agathe prend un tournant le jour où ce fichu crapaud pénètre dans le salon pour se planter devant la série à l’eau-de-rose que regarde son père. Une situation rendue encore plus improbable par le babillage incessant de l’amphibien qui se targue d’avoir un avis sur tout et s’empresse de le faire partager dans une débauche de vocabulaire et d’emphase. Une entreprise de duperie qui trompe tout le monde sauf la jeune fille.

Détournant habilement le conte du prince charmant transformé en crapaud, Hubert Ben Kemoun réalise ici un petit roman très savoureux qui, même s’il ne brille pas par son style littéraire, trouve dans son ressort fantastique une occasion à la satire tout à fait réussie. Un roman aussi effronté que son héroïne, où le prince charmant nous dévoile ses multiples facettes.