Hector et la traqueuse de vampires
Jean Malye n’est autre que le petit-fils du premier directeur de la maison d’édition des Belles-Lettres crée en 1919 avec l’intention audacieuse et louable de mettre à disposition du public les écrits de l’Antiquité. De son grand-père dont il a hérité le nom, il semble aussi avoir reçu un enthousiasme pour les textes anciens. Il inaugure avec Le Secret de Gueule d’Or une longue série d’aventures de 2 jeunes adolescents précipités dans des manuscrits (d’où le nom de la série) qui leur font vivre en direct les hauts faits de l’Humanité de la Conquête des Gaules à la Guerre de Troie, pour l’instant mais d’autres tomes sont prévus en compagnie de Christophe Colomb, du roi Arthur, des Croisés,etc…
Jean Malye s’est déjà distingué dans la littérature jeunesse avec Ma concierge est une sorcière (Hachette, 1991), l’album fluorescent pour les tout-petits La Brillante Histoire du petit vert luisant (Albin Michel, 1993) et sur le même concept du Château Hanté (Albin Michel, 2001).
La guerre de Troie a bien eu lieu
Après Jules César, Alexandre Le Grand (tome 2 et 3), les Manuscronautes faisaient, dans le quatrième opus, connaissance avec les protagonistes de l’Iliade et rencontraient de façon plus surprenante Dracula et une étrange jeune fille Carmilla.
Nicolas, Marie et leur grand-père sont toujours prisonniers du manuscrit contaminé d’Homère. Les révélations sur leur famille continuent et Marie se retrouve en fâcheuse posture. Un mal étrange s’est emparée d’elle, infligé par l’entité qui les poursuit depuis le début de leurs aventure entre et sur les lignes des manuscrits. Cet être mû par la haine sera-t-il aussi facile à dégommer qu’un boss de n’importe quel jeu pour Nicolas, le champion de la console ?
Extension du domaine de l’auteur
Le texte fonctionne toujours sur un principe fort intéressant puisqu’il alterne épisodes des aventures de Nicolas, Marie et leur grand-père et notamment leurs combats contre Dracula avec des extraits du texte de l’Iliade et de La Suite d’Homère, œuvre beaucoup moins connue signée Quintus de Smyrne.
L’auteur tente de rendre familières des scènes de l’Antiquité à ses jeunes lecteurs en les rapprochant de passages de jeux vidéos ou de films. Mais en même temps il semble avoir des comptes à régler avec le cinéma auquel il reproche depuis le 1er tome de fausser la perception que le public peut avoir de l’Antiquité. Il traque à l’occasion les idées reçues actuelles sur l’Antiquité que l’on doit aux scénaristes des péplums.
Jean Malye oscille curieusement entre l’autodérision (« Quel emmerdeur cet auteur ! » p. 175 ou encore « Vous le saurez si mon livre ne vous tombe pas soudainement des mains » p. 235) et la proclamation de sa toute puissance (ainsi son péremptoire « Mais c’est moi l’auteur et je fais ce que je veux avec mon texte. Non mais », p. 142 prolongé par « Les Grecs ne s’enterraient pas dans les cercueils je sais et alors ? » en tant qu’auteur. Ces deux tendances se rejoignent et culminent p. 441 avec sa déclaration de crime prémédité : « compte tenu des maigres ventes des autres tomes, tout ce que j’écris n’intéresse apparemment personne j’ai décidé d’arrêter de vous ennuyer en tuant les personnages que j’ai créés. C’est mon droit d’auteur. » Toutes ces interventions abusives ainsi que des gracieusetés telles que l’ « Ignares » adressées aux lecteurs p. 430 doivent faire partie d’un ton humoristique qui m’a agacée plus qu’amusée.
Des soldats blafards et de la sauce sur les épinards
La dimension fantastique s’accroît encore dans ce tome avec les liens de parenté qui se dévoilent et les pouvoirs de Dracula qui augmentent et engendrent des armées surnaturelles. Mais les péripéties par lesquelles passent les jeunes héros et leur famille traînent parfois en longueur et se terminent par un deus ex machina dans le sens premier du terme. A force de délayer la sauce quant aux exploits des Manuscronautes, Jean Malye nappe les textes anciens d’une sorte de béchamel comme les mamans qui couvrent de cette préparation les légumes verts que, sans cette supercherie, leurs enfants n’avaleraient pas. Et les remarques humoristiques m’ont fait l’effet de grumeaux si bien que l’ensemble m’est apparu comme écœurant. Dommage parce que comme le proclame le narrateur p. 272 : « ce manuscrit [celui d’Homère] est tellement fascinant qu’il s’insinue s’incruste puis vous prend la tête et s’impose enfin à vous par sa beauté.» Donc, si je salue encore une fois l’entreprise de Jean Malye pour accommoder les textes anciens au goût du jour, j’espère que sur le prochain il aura la main plus légère…un mauvais dosage dans l’assaisonnement peut rendre la meilleure des bases indigeste !