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Prestige de l'uniforme

Ruby (Coloriste), Hugues Micol (Dessinateur), Loo Hui Phang (Scénariste)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/05/05  -  BD
ISBN : 9782800137230
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charlotte   - le 20/09/2018

Prestige de l'uniforme

La scénariste Loo Hui Phang a fait de l’écriture son métier. Pièces de théâtre, livres illustrés pour enfants, scénarios de courts métrages, de dessins animés et bien sûr de bandes dessinées, sa vie tourne autour des mots et des images. Son nom est encore peu connu pourtant, elle a déjà publié deux albums, le premier avec Cédric Manche, Panorama, aux éditions Atrabile et le second La Minute de Bonheur (L’Association) avec Jean-Pierre Duffour.

Hugues Micol, de son côté, a toujours dessiné, c’est naturellement qu’il entre en 1988 à l’École Supérieure des Arts Graphiques de Paris. Il devient illustrateur freelance et trouve rapidement du travail dans le secteur jeunesse chez Nathan. Après quelques années, il revient à sa passion première, la bande dessinée. Le scénariste Jean-Louis Capron lui mettra le pied à l’étrier avec le projet loufoque de Chiquito la Muerte publié chez Delcourt. Suivront Les Contes du 7ème souffle (Vents d’Ouest) qui lui apportent une certaine reconnaissance.

« Le processus lichénique ne peut se développer que dans des conditions défavorables où les éléments ne peuvent survivre seuls. Ma vie était le support idéal. »

Paul Forvolino est un chercheur de niveau 4, autant dire un scientifique médiocre, qui travaille pour une grosse firme pharmaceutique. Spécialiste des lichens, il passe ses journées dans son laboratoire, délaissant sa vie familiale et sociale. Ses amis se rient secrètement de lui et sa femme le trompe, quant à sa petite fille c’est à peine s’il l’a vue grandir. Une journée aussi terne que les précédentes, il apprend par hasard qu’il va bientôt être licencié. Pris de panique, il veut dans un premier temps saboter le projet qu’on lui a confié avant de se laisser regagner par sa lâcheté coutumière et de se réatteler à ses expériences. Alors qu’il manipule la solution sur laquelle il travaille l’accident survient.

Dès lors, tout semble réussir à Paul Forvolino. Il gravit enfin les échelons passant chercheur de niveau 2, rentre plus tôt du travail, arrive à l’heure aux dîners chez ses amis, et comble de bonheur il retrouve le corps de ses vingt ans. Un temps béni. Mais bientôt la simple tâche bleue indélébile qu’il a gardé de son accident s’étend. Lentement au début puis de plus en plus rapidement le lichen s’empare de son corps, l’envahit la période d’accalmie prend fin.

« Je n’ai jamais su ce que cela signifiait, être un héros. Je croyais qu’il suffisait d’être quelqu’un de bien, un bon mari, un père exemplaire, un employé modèle. J’ai passé ma vie à essayer. Je réalise maintenant que j’étais un minable. »

Ecrit à la première personne, Prestige de l’uniforme entraîne le lecteur dans les réflexions et les émotions d’un homme devenu un super héros malgré lui. Le narrateur, Paul Forvolino, personnage médiocre, lambda, à la vie terne et morne, un faible dans une société dure et glaciale, sans pitié pour les perdants, devient un être extraordinaire au bénéfice d’un accident. Véritable passage obligé du comics, la transformation d’un homme ordinaire en super héros est traité ici avec une pudeur peu commune. Les auteurs nous montrent plus que les supers pouvoirs de Paul, qu’ils ne dévoilent que de manière anecdotique, les conséquences psychologiques et sociales. Un temps heureux grâce à sa symbiose avec le lichen Paul va vite redevenir comme il était : perdu et irresponsable.

La personnalité faible de Paul, l’insignifiance dans laquelle il se complaît et se débat en même temps, va rester la même alors que la transformation sera complète. Parodie des super héros, comme Spiderman, dont il porte les masques pour se cacher aux yeux des autres, il n’assume pas sa nouvelle identité, il ne se pare d’aucun surnom, ne va pas combattre des criminels. Il reste égal à lui-même : lâche face à une situation qu’il ne maîtrise pas. Une faiblesse de caractère stigmatisée par le lichen. Le lichen est la métaphore de la déliquescence de sa vie mais également celle de la société qui annihile toute identité, qui aliène l’individu, l’écrase.

Le récit semble désabusé et ironique, il est aussi sensible et pudique. Loo Hui Phang maîtrise de bout en bout son scénario intimiste. Elle centre toute son intrigue autour de Paul et de sa vie sociale et familiale, de son regard sans complaisance sur lui-même. En nous montrant la face cachée d’un super héros, ses doutes, la difficulté d’assumer son nouvel état, elle lui donne une densité et une profondeur aussi abyssale que l’angoisse qui l’étreint. Son personnage se laisse dominer par le lichen, sa faible personnalité l’empêche de se réaliser totalement, esclave de sa vie antérieure, il reste l’esclave de cette transformation, la subit, à aucun moment il ne prend l’initiative, c’est sa nouvelle pathologie qui est maintenant son guide. Sa seule ambition était d’être un bon père et un bon mari, ce qui est déjà louable, mais il n’est pas parvenu à le faire avant, comment peut-il après sa transformation sauver le monde ? Sa dernière phrase est pétrie d’angoisse et de solitude : « Je sauve le monde mais qui me sauve moi ? »

Si le scénario est très loin des poncifs sur les super héros, le dessin l’est tout autant. Le trait rêche et épais de Micol convient parfaitement à cette histoire sombre, sans lumière. Il fait écho à l’ironie sous-jacente qui dit tout le mal être de cette société froide, glaciale même, dans laquelle le malheur de l’un fait la risée des autres, où les gens sont seuls, désespérément seuls. Son graphisme trouble, torturé et très ombré est accentué par la mise en couleurs très contrastée et sans éclat de Ruby qui force les ombres.

Paul Forvorino se regarde sans complaisance et tend un miroir grinçant au lecteur. L’histoire est la longue introspection d’un homme en pleine détresse, perdu dans un univers oppressant et sordide. Il dissèque sa vie et montre que si l’uniforme du héros semble prestigieux, il est avant tout contraignant. Contrairement à un super héros en costume, il ne peut renverser sa transformation, son uniforme il le porte à même la peau, comme La Chose des 4 Fantastiques. Il est contaminé par le lichen qui lui dicte sa conduite, l’oblige à se cacher. Bien qu’il sauve des vies, il ne peut se sentir héroïque, il stagne dans son impression de nullité et d’inutilité.

Loin des habituels récits sensationnalistes de super héros, Prestige de l’uniforme se situe dans la veine d’un Frank Miller ou d’un Alan Moore. Il nous montre la part sombre des héros qui se questionnent, se cherchent, se réfugient dans leurs angoisses, des héros profondément humains, tourmentés, névrosés et désespérément seuls.

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