Le temps régit la vie des simples mortels. Aussi les auditeurs chargés de maintenir l'équilibre dans l'univers décident-ils de l'utiliser pour neutraliser la trop instable humanité. Ils fomentent le projet d'élaborer une horloge d'une exactitude parfaite. Au lieu de mesurer l'écoulement du temps, elle l'arrêterait. Ce serait la fin de l'action, la fin de l'histoire. A cause de ce plan s'engage une course contre la montre (ou plutôt contre l'horloge!). La Mort doit convaincre les anciens chevaliers de l'Apocalypse de reprendre du service. Jeremy le membre le plus doué et le plus perturbé de la guilde des horlogers doit exécuter cette horloge. Il est stimulé dans cette entreprise par les visites de son étrange commanditaire Lady Lejean. Elle le paye généreusement, lui fournit tous les matériaux dont il a besoin et lui fait même livrer un Igor, serviteur dévoué comme tous ses homologues de l'agence de placement des Igors.
Au même moment, un apprenti de la guilde des voleurs est confié au Balayeur des moines historiens pour qu'il lui enseigne la Voie. Susan la petite-fille de la Mort prend quelques jours de vacances pour retrouver le fils du Temps et l'aider à déjouer le complot des auditeurs. L'abbé des moines historiens dépêche Lu Tze et son apprenti pour empêcher la mise en service de l'horloge en verre. A dos de yéti ou de balai de sorcière arriveront-ils à temps pour empêcher le premier Tic qui figerait l'humanité ?
Petites faiblesses et grands moments
Dans ce vingt-septième tome des Annales du Disque-Monde, d'après son propre témoignage Terry Pratchett a mis en scène des personnages et des situations auxquels il songeait depuis de nombreuses années. Du coup parfois les liens entre les différents éléments de l'intrigue semblent un peu minces et l'histoire s'essouffle. Cette faiblesse du rythme est d'autant plus regrettable dans un livre où le temps est au cœur de l'histoire...
La réflexion sur la condition humaine (et les méfaits du chocolat sur celle-ci) conduite à partir de l'incarnation en hommes et femmes des auditeurs me paraît moins poussée que celle menée par Tom Holt dans son roman Only Human. C'est à ce même auteur et son livre Paint your Dragon que m'ont fait songer les transactions temporelles auxquelles se livrent les moines historiens. Mais la communauté spirituelle plutôt bienveillante de Pratchett était chez Holt une société capitaliste qui spécule sans scrupule sur les minutes et même les années. La course poursuite où les sauveurs de l'humanité prennent les auditeurs au piège de leur logique implacable offre quelques démonstrations de paradoxes absurdes et délectables. La parodie du bouddhisme est fort hilarante avec la mise en scène des aléas de la réincarnation et la ferveur du Balayeur pour cette formule "Il est écrit que".
Derrière l'humour l'angoisse...
Dans la production prolifique de Terry Pratchett, cette histoire est parmi les plus noires. Expérimenter l'existence humaine conduit Lady Jean à une crise existentielle. Susan maîtresse d'école aux méthodes exigeantes mais peu orthodoxes est partagée entre son humanité et la part d'ombre et de pouvoir qu'elle a hérité de son grand-père, la Mort. Pour conserver l'équilibre, elle s'impose de dures règles qui ne la privent pourtant pas d'agréables surprises. La plupart des personnages sont confrontés à un destin qu'ils ont du mal à assumer. Faut-il y lire l'angoisse d'un auteur dépassé par le succès de l'univers qu'il a créé et qui doute de pouvoir encore tenir le rythme tout en renouvelant les intrigues ? Le temps nous le dira...