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Racines électriques

Jean-David Morvan (Scénariste), Nesmo (Dessinateur, Coloriste)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/05  -  BD
ISBN : 2731616474
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charlotte   - le 27/09/2018

Racines électriques

Avec plus d’une vingtaine de séries à son actif, Morvan est l’un des scénaristes incontournables de la bande dessinée. Impossible de lui échapper dans les rayons des librairies. Mettant au service de jeunes inconnus sa réputation et sa notoriété, il collabore pour ses nouvelles séries quasi exclusivement avec des inconnus. Le vivier italo-espagnol se tarissant, c’est du côté de l’Allemagne que notre scénariste recrute désormais.

Nesmo, de son vrai nom Alexandre Nesme, est un jeune auteur qui a déjà fait ses armes dans le dessin publicitaire et l’illustration. Il publie ses premières planches dans Metal Hurlant sur une histoire courte de Seiter. Il rencontre au hasard d’un forum Morvan… La suite ? Et bien, ce premier tome de la série Ronces.

Meurtres bucoliques pour ville en décomposition

Un homme se prélasse en haut d’un arbre, en pleine campagne. Soudain, une illumination brille dans son regard, il doit se rendre à la ville lointaine. Valise en carton à la main, air un peu bêta, le colosse maladroit arrive dans l’enfer urbain. Perdu, et muet semble-t-il, il est pris en charge par une vieille femme qui l’aide à prendre le train.
 
Plus tard, le commissaire Mornières, homme introverti et docile, est appelé sur le lieu du crime. Une petite vieille a été retrouvée morte dans la rame d’un train, une fleur plantée dans l’œil. Se pourrait-il que ce bébé géant à l’air inoffensif soit ce tueur sans pitié ?
 
Deux personnages fascinants pour une intrigue qui ne l’est pas moins
 
Morvan et Nesmo invitent leur lecteur à se plonger dans un voyage étrange et étouffant. Le prolifique scénariste que l’on pourrait penser à court d’idées démontre le contraire avec Racines électriques, premier tome d’une série qui s’annonce comme très bonne, Ronces. Les Humanos ont su dénicher un jeune talent et Morvan lui a concocté une histoire à la hauteur de son dessin.
 L’intrigue prend place dans un monde rétro futuriste, comme se plaît à le qualifier l’éditeur. Une ville sombre, tentaculaire, nocturne et glauque qui est le théâtre oppressant de meurtres atroces. Paradoxalement, l’histoire se déroule en huis clos et les habitants de cette ville démesurée sont prisonniers des murs qu’ils ont créés. Toutes les scènes se passent dans les couloirs du métro, dans des appartements minables et étriqués, dans un immense commissariat vidé de toute vie, comme les centres commerciaux, ou un hall de gare grouillant de voyageurs pressés et individualistes. Univers violent, mécanisé et étouffant que va découvrir un homme dont on ne sait rien.
 
L’intrigue repose en partie sur ce personnage, mélange habile de poupon un peu simplet, de géant à la force colossale, de gars de la campagne révulsé par l’horreur de la ville. Toute la force du récit de Morvan tient sur la totale ellipse quant à l’identité et aux desseins de ce colosse. On ne sait rien de lui, mis à part ses origines (il vient de la campagne) et sa vision déformée, il voit les êtres selon deux images, la négative, faite d’un imbroglio de corps et de fils électriques, muni d’œil électronique, proprement terrifiant, des êtres de cauchemar en vérité. Les autres, les « bons » sont des sortes d’hommes arbres entourés d’un halo de lumière douce et chaleureuse. Sa force colossale et sa violence n’ont pour l’instant aucune explication.
 
L’autre « héros » ou anti-héros est le commissaire Mornières, enquêteur hors pair mais dont la vie est proche du chaos : utilisé par son subalterne, méprisé par sa femme, haï de son fils, il est désespérément solitaire et marginal, tout comme le colosse muet aux allures de grand bébé. La scène de la planche 28 est bouleversante, à la fois grotesque, pathétique et infiniment touchant, Mornières attire obligatoirement la sympathie du lecteur. Héros méconnu, brave et humble, intègre et consciencieux, il est d’emblée attachant.
 
Du côté des dessins, on est impressionné par la maîtrise de Nesmo pour un premier album. Ses cadrages sont originaux et ambitieux et participent à la fluidité de la narration. Sa mise en scène rend palpable l’enfermement paradoxal de cette mégapole qui fait naître un sentiment de claustrophobie chez le lecteur. En découpant artificiellement un décor en plusieurs cases et en y faisant évoluer le même personnage, il renforce l’impression de piétinement sans fin, de fermeture de l’espace. Ses couleurs participent également à l’ambiance glauque, terne et étouffante de cet album. Cet album d’exposition laisse présager d’une bonne série et les dernières planches, qui opèrent un retournement surprenant, nous laissent dans l’impatience du prochain tome.
 

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