Hermann, de son vrai nom Hermann Huppen, a eu l’idée de son héros récurrent Jeremiah après avoir lu Ravages de Barjavel, récit post-apocalyptique. En 1979 commence donc la longue errance du beau blond et de son acolyte, Kurdy. Aussi différents qu’ils sont complémentaires, le tandem traverse les Etats-Unis ravagés, s’arrêtant ça et là depuis déjà vingt-six albums.
« S’ils croient me foutre la trouille, ces suceurs de Bible ?! »
Comme toujours Jeremiah et Kurdy sont sur la route. Lors d’une petite pause, ils sauvent de justesse de la noyade Milova, une jeune fille à l’air égaré. Les deux compagnons veulent la ramener dans son village mais la route escarpée les empêche d’aller plus loin à moto. Terrorisée, Milova ne veut rentrer seule, il est interdit de s’enfuir, son frère la battra c’est sûr. Pris de pitié, ils décident de s’y rendre à pied. L’accueil n’est pas des plus chaleureux, Jason, le chef et le prédicateur du village, est soupçonneux, les étrangers ne peuvent rien amener de bon. Le seul livre en cours ici, c’est Le Bon Livre.
Nos deux amis ne savent pas encore qu’une violente rébellion couve. Les jeunes garçons ne supportent plus les coups et les brimades de leurs pères autorisés voir encouragés par le Maître Jason. Leurs armes vont mettre le feu aux poudres.
Où Hermann dénonce les violences commises par les adolescents aux Etats-Unis
Les albums de la série Jeremiah se suivent et semblent se ressembler. La structure de l’histoire est identique : Jeremiah et Kurdy sont sur la route, ils tombent par hasard sur une petite ville, il s’y passe toujours quelque chose d’étrange et le non-dit y règne en maître, ils ont des démêlés avec la population locale (souvent pour venir en aide à quelqu’un) et après une grosse bagarre, ils reprennent la route. La récurrence pourrait paraître lassante, mais c’est sans compter qu’à travers chaque nouvel épisode, l’auteur dénonce une nouvelle dérive de l’Amérique contemporaine à travers son western post-apocalyptique.
En plus de l’une de ses obsessions, la dérive sectaire de la religion et son endoctrinement, qu’il martèle sans cesse, il aborde dans Un Port dans l’ombre la violence des adolescents. Il fait écho aux événements récents qui ont vu de jeunes lycéens s’armer et massacrer tous ceux passant à porter de tir. Hermann n’apporte pas de réponse et explique à peine, il donne juste à voir et met simplement en scène. La portée tragique de la série est qu’elle n’offre pas de voie alternative. Lorsque Jeremiah et Kurdy partent, l’auteur ne nous dit pas si les choses ont changé, si les habitants ont tiré la leçon de leurs erreurs, s’ils ne reproduiront pas à nouveau l’ancien schéma qui a en son centre la violence et la bêtise. En fin de compte, la série est une œuvre désespérée et chaque album est une nouvelle pierre ôtée à l’édifice du rêve. Hermann ne croit plus en l’humanité, à peine fait-il encore confiance à ses héros désabusés qui ont laissé de côté leurs illusions fraternelles et humanistes.
Ses planches en couleurs directes sont égales à elles-mêmes, superbes. Le camaïeu de gris, qui souligne le brouillard physique et intellectuel dans lequel évoluent les personnages, étouffe presque le lecteur. Un monde sans couleur et sans vie. L’album donnerait furieusement le cafard s’il n’y avait les dialogues, entre Jeremiah et Kurdy, toujours aussi truculents. Kurdy apporte une légèreté, un amoralisme picaresque salvateur dans cette ambiance pesante. Un vingt-sixième album qui ne décevra pas les amateurs et qui pourra permettre aux nouveaux lecteurs de découvrir la série.