Futur intérieur

Futur intérieur

L'élégance discrète de sa prose, son imaginaire diaphane et sa capacité irréelle à faire surgir le merveilleux de la plus ténue des prémices, ont fait de Christopher Priest l'une des voix les plus originales de la science fiction. En 1977, trois ans après Le Monde inverti qui l'avait propulsé sur le devant de la scène littéraire, il nous livrait ce Futur Intérieur, tout à la fois symptomatique de son œuvre et pur produit de son époque.

Géologue de formation, Julia Stretton, a rejoint l'insolite projet conduit par la fondation Wessex. Comme trente-huit autres scientifiques, économistes, sociologues, psychologues elle a pour tâche de rêver notre futur.

C'est grâce à l'invention du projecteur Ridpath que ce programme a pu être conduit. Plongeant le sujet dans un sommeil profond, il lui permet d'évoluer dans une réalité consensuelle dans laquelle il va mener une vie alternative. C'est là tout le propos du projet Wessex. Les trente-neuf personnes rassemblées au château de Dorchester par les membres du Conseil d'administration ont eu la tâche ardue d'imaginer un futur probable. Chacun amenant ses propres compétences ils ont ainsi modelé un monde dans lequel la technologie Ridpath les fait vivre. Une fois sur place, leur travail consiste à comprendre quels mécanismes ont effectivement permis l'émergence de cette société de demain, afin qu'on les comprenne, les utilise ou, au contraire, en empêche la mise en œuvre.

Mais à mesure que prenait corps l'illusion le projet Wessex est devenu pour ses participants un monde privatif. Un refuge dans lequel ils ont peu à peu pris l'habitude de fuir leur quotidien. Une dérive qui n'a pas échappé aux membres du Conseil d'administration. Ils en veulent maintenant pour leur argent, et nomment Paul Mason au poste d'administrateur. Ambitieux, manipulateur et avide de reconnaissance, Paul fut aussi pendant deux ans le compagnon de Julia. Leur rupture douloureuse n'ayant pas soldé pour autant les comptes, c'est avec une certaine angoisse que la jeune femme voit débarquer dans le projet cet homme qu'elle connaît bien, et dont elle a appris à se méfier. Car l'équilibre délicat de ce monde rêvé dépend d'une complexe alchimie du compromis qu'un seul élément étranger pourrait mettre en péril.

Comme toujours écrivain de l'illusion et des apparences, Christopher Priest s'arrache ici à la réalité, mais à la différence d'un Dick, il s'amuse à nous mettre toutes les cartes en main, balisant clairement sa fuite du réel. C'est certainement là une de ses plus grandes forces, et Futur intérieur en est un parfait exemple. On y retrouve aussi la plupart de ses thèmes de prédilection : la perte de communication, l'impossibilité du couple et l'amour buissonnier. Mais écrit en 1977, ce roman est prisonnier de son temps. Ainsi la marque profonde laissée par le premier choc pétrolier refait surface dans la projection Ridpath sous la forme d'une annexion des Etats-Unis par les Emirats Arabes (ce qui ne manque pas de sel si l'on a lu le dernier Dantec). Il en va de même avec la diabolisation mercantile du Conseil d'administration, caricature transparente des Torries dont l'arrivée prochaine au 10 Downing Street apparaissait alors comme inéluctable, tant l'Angleterre de la fin des années 70 était sinistrée.
On regrette que Folio SF n'ait pas jugé utile de dépoussiérer Futur Intérieur avant de le ressortir. Une démarche qui ne l'aurait certes pas hissé au niveau de La Séparation ou du Prestige, mais qui ne nous aurait pas laissé avec l'impression frustrante de n'y lire qu'une ébauche de La Fontaine pétrifiante, que Priest écrira quatre ans plus tard. Autant de détails qui datent ce petit Priest, dont la lecture serait néanmoins agréable s'il n'était pas desservi par une traduction asthmatique. Un manque de souffle et de rythme qui exigera de vous un effort soutenu pour rentrer dans l'atmosphère fragile cette histoire.