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Hey, Nostradamus !

Aux éditions : 
Date de parution : 30/11/05  -  Livre
ISBN : 2846260990
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Arkady   - le 20/09/2018

Hey, Nostradamus !

« À mon sens, un trait distinctif sépare l’humanité de ce qui compose le reste du monde - les spaghettis, les feuilles perforées, les créatures marines des profondeurs, les edelweiss et le mont McKinley -, seuls les êtres humains possèdent la capacité de commettre n’importe quel péché à n’importe quel moment. »

1988 : Cheryl meurt au cours d’un massacre dans son lycée.

1999 : Jason assiste au mémorial pour la mort de son frère, transformé un an plus tôt « en terrine humaine sur la rampe de sortie n°5, près de Caulfield ». Et il se souvient de Cheryl, sa girlfriend.

2002 : Heather se souvient de son ami Jason, qui a disparu. Jusqu’à ce que ses mots reviennent la hanter par l’entremise d’une fausse voyante.

2003 : Reg espère encore retrouver son fils, Jason. Non. Il sait qu’il le retrouvera.

Et tous les quatre livrent leurs confessions intimes - écrites pour les trois derniers et orale pour Cheryl -, confessions où ils cherchent quelque chose ; un signe justifiant leur existence dans un monde sur-existant. Tous cherchent, espèrent, se souviennent et croient - ou essayent.

En un roman, Génération X,Douglas Coupland est devenu un auteur culte de la jeune génération d’écrivains qui secoue le continent américain. Auteur lucide et symptomatique de l’effondrement du monde moderne, où erre cette Génération X, Douglas Coupland possède cette qualité rare de surfer entre deux extrêmes : un rendu social trash/métal/barré/in your face et une sensibilité fine, poétique dans l’évocation de l’intimité de ses personnages.

Hey, Nostradamus ! ne déroge pas à cette ambivalence : Extrémisme religieux, violence adolescente exacerbée, mœurs sociaux et familiaux dépucelés y côtoient une simplicité, une beauté des mots et des sentiments des narrateurs.

Récit profondément noir sur la nature de l’âme humaine, tentative désespérée de raisonner une existence humaine, Hey, Nostradamus ! n’a rien d’une tournée des plages avec Mickey. Pourtant quelque chose émerge, au final, de cette évocation de la noirceur du monde. Pas quelque chose de positif. Ni même de bêtement optimiste. Non, Coupland est un écrivain trop subtil pour juste livrer un « vulgaire » roman noir mais youp la tout va bien quand même parce que sinon c’est pas cool de vivre. Coupland n’est pas venu pour faire chialer les critiques branchouilles du jet-set rive gauche. Coupland est venu vous parler de la foi. La vraie. Celle à laquelle il croit.

Pour mieux appréhender le propos de Hey, Nostradamus !, il faut se replonger dans le roman de Coupland précédemment publié au diable Girlfriend dans le coma (roman datant de 1998 en VO).

Girlfriend dans le coma, dont on ne prend guère de risque en affirmant que c’est son œuvre la plus aboutie et la plus engagée (au risque de faire grincer des dents une portion renfrognée et rétrograde de notre fandom national), n’était ni plus ni moins que la chronique de la fin du monde ; de la fin de notre monde ; de la société actuelle tournant à vide.

Démonstration par l’absurde de l’inanité de l’attentisme ambiant, Coupland avait sonné le glas de ce monde moribond en le tuant, en traçant définitivement une croix sur ce passé complaisant (cette girlfriend dans le coma) dans lequel trop de gens se réfugient par nostalgie, et en ouvrant la voie vers une nouvelle étape dans l’élévation de l’humanité. Et, pour cela, Coupland n’assénait judicieusement aucune solution. Il ne proposait qu’un moyen d’arriver à cette étape. Car, à ses yeux, il n’y a pas de solution individuelle de s’en sortir, il n’y a qu’un moyen collectif de s’en sortir : questionner le sens de notre humanité. La Génération X est foutue, certes, mais les suivantes ne le sont pas encore, et pour Coupland, notre rôle - sa croyance - est de sortir l’humanité du coma et de s’interroger sur sa justification ; tous ensemble. Comment ? Par tous les moyens que nous avons à notre disposition.

Coupland donnait ainsi une justification à son roman et à toute son œuvre (et à tout ce à quoi devrait tendre l’art) : Amener le lecteur à s’interroger à nouveau, et à travers lui d’autres lecteurs, puis d’autres lecteurs et cætera.

« Grattez. Sentez. Creusez. Croyez. Interrogez. (…) Ciselez des questions sur les vitres des photocopieuses. Gravez des défis sur des vieilles pièces détachées de bagnole et balancez-les par-dessus les ponts pour que les générations futures les sortent de la boue et questionnent eux aussi l’univers (…) Vous ne pourrez pas jeter le moindre lambeau de papier sans qu’il porte une question… ».

Hey, Nostradamus ! vient illustrer à merveille cette profession de foi. Le passage de témoin de l’un à l’autre étant cette perte d’une girlfriend - du passé, et dans les deux cas de manière incompréhensible, insensée.

Les quatre narrateurs successifs s’interrogent ; s’interrogent sur eux-mêmes ; s’interrogent sur l’humanité ; s’interrogent sur les raisons et les causes et les croyances et les non-sens des actes humains. Et ils inscrivent ces interrogations, ces simples interrogations sans réponses sur de simples morceaux de papier - qui sur le dos d’un formulaire de facture, qui sur un papier accroché à un tronc d’arbre.

Le fil narratif de ce roman est la transmission de ces interrogations, de ces prières incessantes à un dieu invisible et omniscient. Mais DIEU N’EST NULLE PART comme l’écrit Cheryl. Les prières adressées à Dieu, suite au massacre dans le lycée, n’aboutissent nulle part. Les prières aux morts, pas mieux. Quant à celles qu’inspirent les échappatoires mystiques - voyants et autres Nostradamus -, elles n’ont aucune finalité.

Pour Coupland, les prières doivent être adressées aux autres. C’est que ce que comprend Reg en réalisant qu’il est, toute sa vie, passé à côté de son fils. C’est que fait Jason en envoyant ses réponses post-mortem aux prières de Heather ; en devenant son Dieu.

Hey, Nostradamus !est avant tout un grand roman sur l’incommunicabilité entre les êtres. Incompréhension mutuelle transfigurée dans le personnage de Jason. « Maintenant, tu es le Sasquatch, en quête de quelqu’un pour soulager ta solitude, tué à petit feu par l’absence de communication avec les autres. » Cette absence de communication que Coupland veut rompre / nous amener à rompre.

Toutes les familles (psychotiques) décrites dans ce roman sont décimées, infondées et n’ont plus aucune valeur - elles n’accouchent d’ailleurs plus de rien : Cheryl meurt enceinte et les seuls enfants évoqués - les jumeaux - sont des bâtards. Coupland veut nous inciter à redéfinir la notion de communauté. À (re)questionner notre relation aux autres.

Les quatre narrateurs sont pétris de clichés les uns envers les autres, mais aussi envers les personnages secondaires de leurs confessions. Comme si regarder avec un œil encore plus pathétique les âmes errantes qui les entourent, rendaient leur pathétisme à eux plus supportable. Les seuls rescapés de ces intrigues entremêlées faites de mensonges et de peurs sont les personnages imaginaires qu’inventent ensemble Jason et Heather - personnages qui survivent à la disparition de Jason.

Une création et un questionnement partagés sont à la source de la foi de Douglas Coupland.

Cet esprit de communauté est mis en relief par l’incomplétude de chacune des confessions. Seul la mise bout à bout des quatre récits donne un début de sens à la vie des personnages. Seul le lecteur possède cette vision presque complète des choses. Seul le lecteur est omniscient face à ces prières. Coupland a transmigré le lecteur en le Dieu des personnages.

Car oui, Coupland est venu vous parler de Dieu.

Car oui, Coupland est venu vous parler de vous.

Car comme l’écrit aussi Cheryl : DIEU EST ICI MAINTENANT.

Car comme l’indique l’idéogramme de la couverture (repris également sur la version VF), et comme l’indique le titre Hey, Nostradamus !, vous avez entre les mains, coincées entre 300 pages de papier recyclé bon marché, les prières d’êtres humains qui ne demandent qu’à être entendues. Des prières qui vous sont adressées. Qu’allez-vous en faire ?

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