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La sixième colonne

Robert Anson Heinlein ( Auteur), Stanley Meltzoff (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/01/06  -  Livre
ISBN : 2843622891
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Arkady   - le 27/09/2018

La sixième colonne

« Voilà ! dit l’homme qui se tenait près de l’appareil. Les États-Unis sont liquidés. (Puis il ajouta :) Quelqu’un a une cigarette ? »

Dans un futur proche, les panasiates - forts de leurs rayons à vortex et de leurs pistolets épileptogènes - ont conquis les Etats-Unis et y imposent un régime dictatorial sans pitié (immatriculation des blancs, camps de concentration…). Heureusement, une vaillante, mais faible, poignée de survivants abrités au cœur de la Citadelle - un laboratoire top-niveau et top-secret -, comptent bien restaurer leur grande nation libertaire. Cette belle équipe de scientifiques et de militaires, dirigée par le sévère mais profondément humain major Ardmore, va s’atteler à saper le moral de l’ennemi et trouver une solution pour bouter les envahisseurs jaunes hors de leurs terres constitutionnelles. Et force de constater que même quand ils sont inférieurs en nombre, les Américains restent bel et bien plus intelligents que les races primitives des autres continents.

« Il faudrait quelque chose comme les cinquièmes colonnes, celles qui avaient détruit les démocraties européennes de l’intérieur, à cette période tragique de l’histoire qui avait débouché sur l’annihilation de la civilisation européenne. Seulement, ce ne serait plus une cinquième colonne de traîtres, n’ayant d’autre but que de paralyser un pays libre, mais son antithèse, une sixième colonne de patriotes qui auraient le privilège de saper le moral des envahisseurs, de semer en eux l’effroi et le doute. La duplicité, l’art de tromper, voilà quelle était la clé de la situation. »

Pour parvenir à leur fin, ils vont parvenir à synthétiser l’arme ultime de tout opprimé impuissant : l’Âge d’Or. Oui, vous savez, cette époque prolifique, foisonnante, riche d’idées et de sens… En invoquant l’esprit mythique de l’Âge d’Or, et juste après avoir porté serment sur la Constitution, les résistants mettent au point un bidibulle magique qui va leur ouvrir la porte des possibles. Fabriquer de l’or et de la nourriture à volonté ; s’entourer d’un bouclier indestructible ; tuer les gens qui répondent à une certaine « fréquence » ; bref, tout un paquet de petits trucs bien pratiques au quotidien. Une petite explication scientifique de rigueur s’impose quant à cette fameuse « fréquence » (je vous ai bien senti sourciller sur ce mot alors que jusque là tout était crédible) : « … chaque être [a] sa, ou ses, propres longueurs d’onde (…) l’hémoglobine de chaque lapin a sa longueur d’onde particulière. On voit par analyse spectroscopique qu’il n’absorbe qu’une et une seule longueur d’onde spécifique. On peut distinguer un lapin d’un chien ou même d’un autre lapin, simplement grâce au spectre de son hémoglobine ». Et comme le dit le dicton, si c’est bon pour le lapin, c’est bon pour le pékin : « Autrement dit, s’ils règlent un projecteur sur l’effet Ledbetter et se mettent à parcourir l’échelle des spectres, quand sa radiation atteindra votre propre fréquence bien spécifique, vos globules rouges se mettront à absorber de l’énergie, vos protéines d’hémoglobine se désintégreront et - pouf ! - vous serez mort ».

Toutefois, soucieux de ne point répandre inutilement le sang (ou alors juste pour le fun à la fin), nos fiers héros vont d’abord constituer un réseau de résistances, sous couvert d’une nouvelle religion - forte des miracles offerts par le bidibulle magique. Ces puérils occupants Jaunes, dans leur attitude tout en retenue digne, ne vont pas se rendre compte que cette religion qu’ils laissent naître pour amuser leurs esclaves, contient en fait les germes de leur propre éradication. Car, au bout de plusieurs mois (ou années car la tension du récit est telle que l’opiniâtre lecteur ne voit pas le temps passer), une fois la religion bien implantée dans tout le pays, nos braves héros vont pouvoir passer à l’action et nettoyer les fesses des Etats-Unis de ces immondes morpions jaunâtres. Et ce avec un tel brio, que le lecteur intrigué pourrait se demander pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant d’attaquer. Mais la réponse est simple gentlemen : comme aux échecs, ce fut uniquement pour le plaisir de faire durer la partie.

Notons pour conclure, l’apparition lors de l’affrontement final, d’un géant destructeur, toujours synthétisé par le bidibulle magique, qui tel Godzilla va venir piétiner toute cette racaille panasiate. Et à ceux qui s’interrogerait sur la place des femmes dans cette merveilleuse aventure, elle est claire et tellement émouvante dans cette pureté ainsi énoncée : « À moins que vous ne recrutiez une femme qualifiée pour une fonction militaire bien spécifique, vous devez vous garder de le faire, même pour la sauver des bordels panasiates. »

Curieuse réédition que ce rogaton de jeunesse de Robert Heinlein.

Auteur emblématique de l’Âge d’Or, tant pour ses fresques nanardesques (Histoire du Futur), ses œuvres militaristes (Étoiles, garde-à-vous !), ses œuvres anti-militaristes (Étoiles, garde-à-vous !), ses pensums cultes aussi indispensables qu’une rediffusion d’E.T. (En terre étrangère), Heinlein est l’un de ces auteurs dont on se demande encore pourquoi certains éditeurs s’obstinent à le rééditer. Peut-être parce que de tous les auteurs de cette époque, il est l’un des plus modernes, dans la nervosité de sa narration notamment.

Ainsi Sixième Colonne, s’il cumule toutes les tares de la galaxie connue - dialogues explicatifs à foisons ; digressions scientifiques et géopolitiques grotesques ; propension à ériger des lieux communs en grande vérité existentielle… - se laisse doucettement lire. Sa fluidité, la conviction des propos de ses protagonistes, son manichéisme symbolique forcé (car il est forcé rassurez-moi ?) et une certaine nonchalance de l’auteur (dont on aimerait croire qu’elle est le signe d’un second degré) peuvent emporter l’adhésion d’un lecteur nostalgique. Ce récit, même s’il prête à sourire, n’est d’ailleurs pas complètement inintéressant dans sa timide réflexion sur l’art de convertir la science en religion et dans le reflet de la paranoïa américaine de l’époque qu’il propose. Au final, le lecteur appréciera la postface bien embarrassée d’Ugo Bellagamba et Eric Picholle qui expliquent que oui Sixième Colonne est bien un mauvais roman. Réédition saugrenue donc, qu’ils tentent en une conclusion peu convaincue et guère argumentée de justifier en tant que première étape d’une redéfinition de la science fiction vers une maturité littéraire. Admettons. Mais si c’est louable d’assumer avoir fait pipi au lit dans sa prime adolescence, était-ce bien nécessaire de ressortir les photos pour les montrer à tout le monde ?

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