Santa Maladria
Jean-David Morvan est un vieux routard de la bande dessinée française. Connu surtout pour Le Cycle de Tschaï, il a aussi scénarisé Spirou et HK, bref, un beau palmarès. Miroslav Dragan et Ignacio Noé sont moins connus en France, mais ont une certaine notoriété dans leurs pays d’origine (Noé surtout pour ses très beaux albums érotiques). Il était fatal que, quand les trois se rencontrent, ils racontent une histoire très exotique.
La peste comme châtiment divin
Quand les conquistadores sont arrivés sur l’île, ils ont commencé à tuer les indigènes. Les indigènes ont commencé à tuer les conquistadores en retour. Mais ils eurent rapidement tous deux une concurrente extrêmement efficace: la maladie, qui frappe partout et tue après d’atroces souffrances. Une maladie qui n’a pas de nom, sauf peut-être Santa Maladria, la maladie sainte, le jugement de Dieu (ou des dieux).
Hutatsu et Dathcino, eux, survivent comme ils le peuvent dans ce monde meurtrier. Ils pillent les villages décimés par les conquistadores, volent et fuient à la fois les Espagnols et leurs propres compatriotes, qui sont sans pitié pour des rats des rues comme eux. D’ailleurs, quand ils se font capturer par les soldats Syyana, ils ne peuvent pas franchement espérer de clémence. Les Syyana offrent des sacrifices humains dans la grande tradition Aztèque et maintiennent l’ordre à la lance et à la flèche. Hutatsu et Dathcino ne peuvent compter que l’un sur l’autre dans ce monde. Et puis, en face, il y a le commandant espagnol, brûlé, ravagé et fanatique. Lui qui a brûlé sur le bûcher avant de s’enfuir, il ne voit aucun inconvénient à brûler vifs les Syyanas. Le monde est fou, le monde tue, et il y a peu de chances de sortir vivant.
Beau et mortel
Ce qui rend les choses encore plus saisissantes, c’est le dessin de Noé. Son attention au détail, sa vracité dans les expressions rendent le récit terriblement humain. Il s’agit d’un dessin très anatomique, très honnête dans ses personnages. Mais dans les décors, la splendeur de la jungle tropicale ou des temples bariolés à des dieux étranges n’a d’égale que celle des images pieuses des très catholiques Espagnols.
Ce dessin est aidé par un scénario souvent laconique, qui présente des grandes cases bourrées de détails, silencieuses, comme des gravures. Les nombreux flash-backs permettent à l’histoire de s’échapper du temps et du lieu présents, et expliquent les choses bien mieux que de longs monologues.
Santa Maladria supporte bien la relecture, ce qui est le signe des bons albums de bande dessinée. Il y a toujours quelque chose à apprécier, même si ce n’est qu’une explosion de couleur avant la mort inévitable.