Jeunesse
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Le fils de Luc

Brian Jacques ( Auteur), Philippe Munch (Illustrateur de couverture), Laurence Nectoux (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/03/06  -  Jeunesse
ISBN : 2740420676
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Lavadou   - le 27/09/2018

Le fils de Luc

Brian Jacques est né en 1939 à Liverpool et y vit toujours. Après avoir occupé un certain nombre d’emplois très variés (marin, conducteur de bus, agent de police…), il commence à écrire ce qui deviendra sa grande saga, Rougemuraille, histoire qu’il invente pour des enfants aveugles alors qu’il est livreur de lait. La série comprend aujourd’hui 18 titres, dont 16 parus en France, et a été traduite en 14 langues. Le fils de Luc est la réédition en un seul tome des 4 volumes déjà parus en poche chez Mango : Tarkan le Tyran, Les Baladins de l’Eglantine, La Longue Route et La Bataille de Marpoigne.

« Liberté ! Chaaaaargez ! »

Le fils de Luc
nous conte la jeunesse de Martin, souriceau guerrier qui deviendra une légende et qui fondera l’abbaye de Rougemuraille. Réduit en esclavage par l’hermine Tarkan, Martin est prisonnier de la forteresse de Marpoigne et attend de pouvoir se libérer pour tuer le tyran et récupérer l’épée de son père.

Aidé par la taupe Grimm et la souricelle Rose, venue chercher son frère Côme également prisonnier, Martin parvient à s’échapper avec Feldo, un écureuil brave et courageux. Mais les amis sont séparés dans leur fuite : alors que Rose, Martin et Grimm veulent regagner Midival, havre de paix secret, pour lever une armée et libérer les autres esclaves, Feldo et Côme rencontrent une troupe de baladins et vont user de ruse pour percer les défenses de Tarkan.

« Ca a l’air juste assez fou pour marcher ! »

Ainsi Feldo commente-t-il le plan des baladins pour infiltrer Marpoigne. Ainsi peut-on qualifier ce roman qui, dès le début, nous entraîne dans un tourbillon de combats et de ruses, de fuites et de poursuites, de lieux et de personnages, qui nous tient en haleine tout du long et ne nous lâche qu’à la fin, nous laissant essoufflés mais contents. Car Brian Jacques fait preuve d’un véritable talent de conteur.

Tout d’abord, l’univers qu’il a mis en place, habité principalement de rongeurs, possède un charme fou. Non seulement ses personnages font appel à l’imagerie animalière qui séduira sans mal les enfants et ravivera chez les adultes une flamme juvénile peut-être étouffée, mais ils sont également parfaitement utilisés, chacun possédant des caractéristiques propres à son espèce : les taupes sont de remarquables creuseurs de tunnels, les écureuils sont agiles et rapides, les hérissons utilisent leurs épines pour se défendre… Cela confère au récit une certaine cohérence, renforcée par une grande richesse de lieux (la carte en début d’ouvrage, bien que classique, permet d’avoir une vue d’ensemble des territoires traversés par les héros) et de personnalités (les musaraignes pygmées, le héron justicier…).

Ensuite, l’écriture de Jacques est rythmée, simple (mais pas simpliste), et n’est pas exempte d’humour voire d’ironie. Ainsi, certains dialogues surprennent par leur finesse ou leurs traits d’esprit :
« - Silence, quel joli mot.
- On l’apprécierait mieux si tu fermais ton clapet et lui laissais sa chance. »

Cet exemple montre également que, sans jamais être vulgaire, Jacques n’hésite pas à utiliser un langage familier pour faire parler ses personnages. A ce propos, du côté des dialogues, il arrive très astucieusement à restituer différents dialectes (les ‘r’ roulés des taupes, l’argot des pirates, la frénésie des musaraignes), rendant le parler des animaux très naturel et ajoutant à l’harmonie de son univers.

Enfin, le suspens est permanent, les fins de chapitres laissant souvent les héros dans des situations périlleuses. Le procédé est commun mais très efficace. D’ailleurs, l’auteur ménage parfois des pauses pour laisser le lecteur souffler un peu, souvent avec des chants qui ne sont pas sans rappeler les encarts musicaux des productions Disney - mais sans la mièvrerie de mélodies sirupeuses.

Un roman à la portée de tous

L’autre talent de Jacques est d’avoir su allier un certain entrain juvénile, une morale solide et des personnages complexes. Le fils de Luc est ainsi un ouvrage à la portée de tous, petits et grands, ces derniers n’y trouvant certes probablement pas les intrigues et réflexions poussées de romans plus adultes mais au moins un agréable divertissement sans naïveté ni infantilisation.

Première manifestation de cette mixité : le manichéisme nuancé des personnages. Certes, Tarkan est le méchant et Martin le gentil. Mais le premier est loin d’être bête (il ruse et réfléchit) et le second loin d’être parfait ou innocent. Les autres personnages ne sont pas en reste et s’ils sont parfois caricaturaux, ils n’en manquent pas moins d’intérêt. Car leurs comportements ne sont pas simplistes : que ce soit pour s’échapper en distillant la paranoïa chez les ravisseurs ou rassurer un compagnon en le faisant parler de son pays natal, ils font preuve d’une inventivité, d’un bon sens ou d’un humanisme qu’on ne s’attend pas forcément à trouver dans ce genre d’histoires.

Même constat du côté de l’intrigue. Si elle est dans l’ensemble convenue et n’échappe pas aux codes du genre, elle surprend parfois, comme lorsqu’un pirate ennemi de Tarkan s’associe à lui malgré leurs différents. Les rebondissements sont suffisamment originaux pour gommer l’impression de déjà-vu. Et Jacques évite de sous-estimer ses jeunes lecteurs. S’il parsème son roman de petits encarts pédagogiques (voir les notes en bas de page pour définir les mots compliqués, ou les explications de concepts comme l’orientation grâce au soleil), il introduit également des notions plus philosophiques comme le mal nécessaire, qu’il se garde bien de juger, un peu comme s’il disait aux lecteurs : « Voilà, c’est un concept qui existe, je vous le fais constater, à vous de vous faire une idée ». L’auteur accompagne son public mais ne lui tient pas la main, ne lui met pas d’œillères.

Cela ne l’empêche pas d’imprégner son récit d’une morale qu’il clame haut et fort dès le début : l’homme ne doit pas réduire les autres en esclavage, la liberté est un droit fondamental. Mais pas question de le lui reprocher. Déjà parce que cette morale est, somme toute, parfaitement légitime. Mais surtout parce que ce n’est pas qu’un prétexte : Brian Jacques l’explore à fond, en fait la motivation principale de ses personnages, l’explique. Et l’étend : la liberté n’est pas l’individualité, bien au contraire. A travers des banquets interminables et joyeux ou des scènes d’entraide et de solidarité, l’auteur fait l’apologie de la vie en communauté et de l’amitié.

La figure du héros

Autre aspect particulièrement intéressant du livre de Brian Jacques : ses héros. Bien entendu, on n’imagine pas une histoire d’aventure sans personnages braves, valeureux et honnêtes. Mais ils sont souvent trop lisses et résumés à leurs seules actions. Ce n’est pas le cas ici, avec Martin et Feldo. Tout d’abord l’auteur leur donne un passé et explique ce qui a forgé leur personnalité intrépide, en l’occurrence une souffrance physique ou mentale insupportable. Cette « recette » du héros ne sert pas seulement à les rendre attachants, mais également à comprendre leur nature profonde. Bien que l’action prévale dans Le fils de Luc et que la puissance de Martin et Feldo relève du pur roman d’aventure, leur comportement est dicté par des blessures personnelles que Brian Jacques arrive à mettre au premier plan.

A ce propos, Feldo est le plus intéressant. Animé par la vengeance, il est prêt à sacrifier des vies innocentes ou sa propre vie pour anéantir Tarkan et ses sbires. Ce « double visage » apporte une nouvelle nuance au manichéisme global du roman. On retrouve cette volonté de l’auteur de s’adresser à des enfants tout en leur expliquant que la vie n’est pas rose, que les bons ont aussi leur côté sombre. D’ailleurs Feldo, comme tout bon héros qui se respecte, se met à l’écart des autres, comme s’il ne voulait pas les contaminer. Par exemple, alors que ses amis festoient autour d’un banquet digne de Gargantua, il s’écarte de cette oasis de paix et d’insouciance car il a perdu son innocence. Finalement, dans Le fils de Luc, le guerrier est le grain de sable dans la grande machine du bonheur, sorte de métaphore de la fin de l’enfance.

Quant à Martin, personnage principal du livre, ce n’est pourtant pas, au début, le plus attachant. Son caractère est peu détaillé par rapport aux autres, on a l’impression qu’il est monolithique, simple combattant qui ne se retrouve que dans l’action, alors que les autres sont plus dans les pensées, les attitudes ou les dialogues. Si bien qu’il est facilement éclipsé par Feldo. Mais on se demande si l’auteur ne l’a pas fait exprès, car sur la fin Martin acquiert enfin sa véritable dimension, qui sera sans doute celle de ses aventures futures. Comme si Jacques avait voulu le faire grandir sous nos yeux, l’avait volontairement laissé dans l’ombre pour mieux le faire briller. Cette capacité à insuffler de la vie à ses personnages est une des principales qualités de l’auteur.

Bien plus qu’un livre pour enfants

Le fils de Luc est ainsi bien plus qu’un livre pour enfants. Il est parfaitement abordable pour le jeune public car écrit pour lui, avec des personnages forts, une histoire entraînante et un rythme haletant. Mais il possède des facettes plus réalistes, moins innocentes. Il n’y a pas à proprement parler de second niveau de lecture puisque Brian Jacques imbrique volontairement ces différents aspects. Le fils de Luc est avant tout un roman sur l’expérience de la vie, sans faux optimisme, où le bonheur existe mais se gagne durement.

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