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Pollen

Marc Voline (Traducteur), Jeff Noon ( Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/06  -  Livre
ISBN : 2952221766
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Eric   - le 20/09/2018

Pollen

Patronyme palindrome pour un des auteurs anglais les plus singuliers de ces dernières années. Jeff Noon est né à Manchester où il étudié l'art et la dramaturgie. Comédien à ses heures et il fût aussi guitariste dans diverses formations punks. Au début des années 90, alors qu'il travaille à une adaptation pour le théâtre - adaptation assez libre il est vrai - du Jardins des plaisirs d'Octave Mirbeau, lui vient l'idée de Vurt, sont premier roman. Piètre lecteur de SF, mais fasciné par le cyberpunk en tant que mouvement contre-culturel, il crée avec Vurt un univers de shamanisme numérique, où rêve et technologie se mélangent dans un futur peuplé d'hommes-chiens, de "zombies" et de cyborgs bricolos. Une vision originale qui lui vaudra un Arthur C.Clarke Award en 1993.

 
 

C'est dans ce Manchester étrange qui avait servi de théâtre à Vurt, que Noon revient pour Pollen, où tout va commencer par un incroyable éternuement de trois pages. Assurément le plus long de toute l'histoire de la littérature.

 
 

Petit flashback, pour faire la connaissance de Coyote, chauffeur du dernier bon vieux cab noir de Manchester. Coyote est le meilleur taxi-chien de la ville. Bien meilleur que ces nouveaux Xcabs jaunes, avec leurs bagnoles incapables de sortir de la zone urbaine. C'est pourquoi Coyote est là cette nuit, au milieu de la lande désolée des Limbes, à attendre son client. Ce n'est pas très légal, mais il faut bien vivre. Il s'avère finalement son client est une cliente. Une fillette de onze ans, sortie de nulle part, et qui sent bon les fleurs de printemps. Avec le petit jour qui ne va pas tarder, Coyote sait que ça ne va pas être facile de la ramener à Manchester, qu'il va falloir éviter les Zombies et les flics, mais quoi… n'est-il pas le meilleur ?

 

Pour toute récompense, Coyote mourra au petit matin, des lèves même de sa jeune cliente, qui plantera dans sa gorge de jolies fleurs rouges-sang qui l'étoufferont.

 

C'est Sybil Jones l'ombreflic et Zoulou Clegg le chien-flic qui vont être chargés de l'enquête. Dans ce monde où la "technologie" des plumes permet à tout à chacun d'accéder au Vurt – le monde des rêves – et de s'y incarner momentanément, Sybil fait figure de handicapée. Elle est une "Dodo", une personne génétiquement incapable de rêver. En revanche, elle est une Ombre. Parce que son père, gavé d'une drogue aphrodisiaque jadis autorisée par le gouvernement pour relancer la natalité, a fécondé un cadavre, elle a le pouvoir de dialoguer avec la part de mort que nous avons en nous. Ce qui fait d'elle une sorte de légiste de l'âme. Et précisément, ce qu'elle va lire dans celle de feu Coyote, va la conduire au cœur même de la première bataille de la grande guerre entre le rêve et la réalité.

 

Bien qu'inédit en français, Pollen est un roman qui date de 1996. Depuis, aspirant à trouver des "moyens fluides pour une société fluide", Jeff Noon a beaucoup travaillé sa langue, s'inspirant notamment des techniques des musiques électroniques. Adaptant les notions de sampling, de loops, de filtres, il a créé ce qu'il appelle la metamorphiction. L'idée est moins barbare qu'elle n'en a l'air, et c'est surtout une manière ludique d'aborder l'écriture. Une volonté d'explorer et une inventivité sans complexe qu'on trouve déjà en gestation dans Pollen. Une gestation d'ailleurs bien avancée, car ce roman ne ressemble à rien de connu. S'il paye tribut à Mirbeau, mais aussi à Lewis Caroll, Noon s'afranchit sans mal de ses influences, les digère, et nous offre un univers d'une totale originalité.

 

Son monde est complexe, mais on y navigue sans peine. D'une part les scènes d'exposition, même si elles tardent un peu, sont claires, et d'autre part, Noon a intelligemment calqué un schéma archi-classique de roman noir sur son intrigue. Et le mélange fonctionne. On se retrouve ainsi à lire un Chandler sous poppers ; une sensation tout à fait réjouissante. Se prenant lui-même au jeu, l'auteur se coule dans un style très "Faucon Maltais" qui entre joyeusement en collision avec ce cyberpunk flower power, qui prend parfois des allures de descente de trip. L'exercice, pourrait s'apparenter à de la haute-voltige, mais tient sur l'audace parfaitement assumée de Jeff Noon. Originalité, maîtrise, inventivité. N'est-ce pas ce que nous recherchons tous dans les littératures de l'Imaginaire ?

 
Quoiqu'il en soit, La Volte annonce d'ores et déjà la réédition pour septembre prochain de Vurt, et ses autres romans devraient suivre dans les mois à venir. C'est là une excellente nouvelle.

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