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L'invasion divine

Philip K. Dick ( Auteur), Alain Dorémieux (Traducteur), Sébastien Hayez (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/04/06  -  Livre
ISBN : 9782070309535
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Lavadou   - le 20/09/2018

L’invasion divine

Philip K. Dick, auteur américain né en 1928 et mort en 1982, a imprimé sa marque dans la littérature de science-fiction en s’appropriant et développant le thème du questionnement de la réalité. Réputé paranoïaque, sa vie et son œuvre sont parfois intimement liées et Dick n’hésite pas à semer des éléments autobiographiques dans ses romans, particulièrement à la fin de sa vie où il s’interroge sur l’essence divine. L’invasion divine (deuxième tome de ce que l’on a appelé la Trilogie divine dont les composantes sont relativement indépendantes) appartient à cette période « mystique » et se démarque d’œuvres plus connues comme Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, Ubik ou Le Maître du Haut Château.

Dieu est de retour

Emmanuel, jeune garçon ayant subi un traumatisme cérébral, intègre une école spécialisée. Il semble doué de pouvoirs divins mais ne se souvient de rien. Et pour cause : il a lui-même effacé sa mémoire pour pénétrer illégalement sur Terre et échapper ainsi au contrôle du gouvernement et du Mal qui aurait envahi la planète.

Herb Asher est en suspension cryonique et revit les événements qui l’y ont conduit : sa vie sur CY30-CY30B, petite planète où sont envoyés des colons n’ayant pas le droit de revenir sur Terre avant 10 ans ; l’intervention de Yah, une divinité locale, pour le pousser à aider Rybys Romney, une voisine très malade ; la grossesse incompréhensible de Rybys, toujours vierge ; leur tentative de retour sur Terre sous l’impulsion du fœtus – Emmanuel – qui communique avec eux par télépathie ; enfin l’accident qui tuera Rybys et plongera Herb dans un état de semi-vie.

Quand Herb se réveille, il retrouve Emmanuel, qui recouvre peu à peu la mémoire…

Un mysticisme abordable

Soyons clairs dès le début : L’invasion divine n’est pas un livre à conseiller pour débuter en science-fiction ! Son thème principal, le retour de Dieu sur Terre, est assaisonné d’une réflexion sur le pouvoir divin, la Création et l’essence même de l’Univers, le tout illustré de références bibliques parfois absconses pour ceux qui ne connaissent pas les Ecritures par cœur. Si bien qu’on a parfois l’impression que Dick se contente « d’étaler sa science » sans vraiment la rattacher à son intrigue. Les nombreuses citations donnent – volontairement ? – l’impression d’une vision assez étroite de la religion, plus intellectuelle qu’émotionnelle.

On se demande d’ailleurs au début quel est le but de l’auteur. Cherche-t-il à nous imposer une vision mystique du monde, l’histoire n’étant alors qu’un prétexte, ou bien ses réflexions religieuses sont-elles au service de l’intrigue ? Plusieurs indices font pencher pour la deuxième proposition. Tout d’abord Dick ne prend pas forcément la défense de son Dieu : la façon dont il s’immisce dans la vie des personnages humains est ressentie par eux comme une violation, déclenchant leur colère bien qu’ils ne cherchent pas à lutter. « La Machinerie divine opère avec une brutalité particulière », déclare Rybys, puis peu après : « Dieu est un symptôme de puissance, rien d’autre ». L’auteur fait même preuve d’autodérision lorsque Zina, une amie d’Emmanuel, lui lance : « tu deviens ampoulé ».

Ensuite, l’intrigue reste dans l’ensemble plutôt terre à terre, et Dick ne se laisse pas enfermer dans des pièges évidents tels que le déterminisme divin. En permanence, il remet en question la parole d’Emmanuel, et au moment où le lecteur se demande s’il est vraiment nécessaire d’aller au bout du roman – puisque Dieu sait tout – Dick réintroduit le doute et ouvre de nouvelles pistes, allant à l’encontre du cliché d’un destin immuable.

Finalement, ces envolées mystiques sont plutôt intéressantes. Elles ne sont pas sans rappeler les interrogations de James Morrow dans sa propre « trilogie divine » composée de En remorquant Jéhovah, Le jugement de Jéhovah et La Grande Faucheuse. Même le lecteur néophyte en culture religieuse, s’il ne se décourage pas, pourra y trouver son compte.

Des thèmes récurrents

Comme tout Dick digne de ce nom, L’invasion divine aborde son thème de prédilection : le questionnement de la réalité. Bien entendu il est ici fortement lié à la thématique divine. L’auteur nous gratifie par exemple d’un passage épique lorsqu’il décrit la « transformation hermétique » à laquelle se livre Emmanuel, manipulation d’un monde dont on se demande s’il est réel ou non. Mais on en retrouve des traces moins empruntes de mysticisme, comme cette suspension cryonique qui renvoie à la semi-vie d’Ubik, ou ce jeu dialectique entre Zina et Emmanuel sur les valeurs comparées de l’illusion et de la réalité.

Impossible également de passer à côté de la critique des institutions gouvernementales et religieuses, témoins de la paranoïa de Dick et de ses déboires avec l’administration américaine. Le monde qui accueille l’intrigue de L’invasion divine est en effet dirigé par un gouvernement bicéphale (une composante totalitaire communiste et une composante religieuse), qui contrôle tout et auquel les personnages cherchent à échapper. Le nom de l’intelligence artificielle du gouvernement, Grande Nouille, est un indice flagrant du peu d’estime de l’auteur pour ces institutions, qu’il n’hésite pas à qualifier de folles. Le cardinal de L’Eglise Catholique Islamique (quelle étrange association !) est présenté comme un être lâche et égoïste, ayant perdu de vue les valeurs premières de sa religion. Le récit souffre d’ailleurs un peu de cette charge qui manque de subtilité et qui ne s’intègre pas véritablement à l’intrigue.

Une intrigue servie par une écriture fluide

Une intrigue qui a le mérite d’exister au sein de ce bouillon mystique. Certes, il faut aimer être baladé : comme on l’a dit, Dick s’amuse à brouiller les pistes, à faire intervenir des personnages qui sèment le doute, dont l’identité ou le rôle n’est pas évident. Lorsque l’on croit avoir deviné les ressorts du récit, Dick re-mélange les cartes quelques pages plus tard. Si bien qu’on est dans un flou permanent, mais jamais perdu. Inexplicablement, la fluidité de l’écriture nous pousse à continuer, nous empêchant de retourner en arrière pour relire un passage ou chercher à comprendre un détail – ce qui serait bien inutile puisque deux pages plus loin on se rendrait compte qu’il s’agissait d’une fausse piste. Cette « fuite en avant » occulte le côté un peu confus de l’histoire.

Elle se caractérise aussi par des dialogues denses, au cheminement naturel, parsemés d’informations qu’il est parfois difficile d’assimiler. L’auteur affectionne ainsi les grandes discussions philosophiques et théologiques entre les personnages dans lesquelles on se laisse entraîner avec un léger scepticisme mais pas sans plaisir. Dick parvient également à retranscrire un mode de pensée – celui de Dieu – non linéaire, créant un état de crédulité chez le lecteur pour accepter cette plongée mystique entre plusieurs réalités.

Le seul reproche que l’on puisse faire à l’intrigue, outre l’exagération du complot gouvernemental, est le peu d’importance accordé à l’univers SF du roman, mal exploité, phagocyté par la thématique divine. Cette histoire, finalement, aurait très bien pu se dérouler dans un monde traditionnel. C’est d’autant plus notable que, de nos jours, certains détails sont complètement dépassés, comme l’utilisation de cassettes et de magnétophones à une époque où l’homme a colonisé l’espace !

Un bon roman

L’invasion divine est donc un bon roman, fidèle aux thèmes classiques de l’auteur, certes un peu confus dans sa démonstration mais disposant d’une intrigue suffisamment solide pour ne pas perdre le lecteur en route. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, de La transmigration de Timothy Archer, troisième opus de la Trilogie divine, tout aussi agréable à lire mais nettement moins balisé.

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