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On ne patine pas avec l’amour

Joann Sfar (Scénariste, Dessinateur, Coloriste)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/05/06  -  BD
ISBN : 2205057634
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Virginie   - le 31/10/2017

On ne patine pas avec l’amour

Présente-t-on encore Joann Sfar ? Après des études de philosophie qui nourriront abondamment ses créations (lire en particulier le tome 2 du Minuscule Mousquetaire, La Philosophie dans la baignoire mais aussi Le Chat du Rabbin) et un passage par les Beaux-Arts, ses projets de BD sont enfin acceptés par les maisons d’édition. Dès lors, le succès arrive et ne lâche plus l’auteur prolifique dont la liberté de ton ne cesse de nous réjouir.

Les nouvelles aventures du « minuscule mousquetaire » nous entraînent en territoire hawaïen. En effet, après une mésaventure amoureuse sur un bateau en guise de hors d’œuvre, notre viril héros décide de s’embarquer pour une navigation en solitaire. Le voilà donc à la dérive, en proie aux vagues et autres éléments, l’aventure semble prendre un mauvais tour… Mais la roue tourne et il débarque sur une île on ne peut plus accueillante : un véritable « paradis collectif », selon l’expression du héros, puisque composé en grande majorité de créatures de rêve, naïades dévêtues dont la seule parure est une longue chevelure ondulée. Le mousquetaire, après une première nuit des plus divines, ne tardera pas à apprendre à ses dépens qu’effectivement, on ne badine pas avec l’amour, et en particulier avec le cœur féminin.

Une éducation sentimentale…


Rappelons tout d’abord le propos : au commencement, le mousquetaire n’était pas minuscule. Il était même grandement gras et bourru. Mais il voulait maigrir, « juste perdre quelques kilogrammes » et après une expérience « diététique », le voilà rétréci ! Dès lors, un nouveau monde s’offre à lui, un monde parallèle, en miniature, dans lequel on trouve une « Petite France ». Chacun des pays que nous connaissons y a sa version en minuscule. Le mousquetaire va, au grès des rencontres qui le mènent de territoires en territoires, découvrir les lois et les mœurs de ce nouveau monde. Dans le premier tome, le voici devenu modèle à l’académie des Beaux-Arts, lui, le viril combattant, son corps soumis d’un coup aux regards scrutateurs d’une assemblée exclusivement féminine. Dans le second, le héros plonge inopinément dans un bain de jouvence… philosophique ! Qu’a-t-il véritablement tiré de cette expérience ?

Ce nouveau tome nous montre la suite de la formation amoureuse de notre mousquetaire : toujours aussi avide sexuellement, il continue à découvrir l’étendue du pouvoir des femmes. Il est cette fois-ci confronté à l’engagement, à la cruauté et aux variations du cœur féminin. Ici, les femmes ont même droit de vie et de mort sur leurs prétendants. Mais le portrait de la gente féminine que dresse Sfar est comme toujours plein de nuances et d’ironie : si la femme qui s‘engage peut être implacable en cas de trahison, celle-ci, comme l’homme, peut révéler bien vite des envies de polygamie. Il n’y a vraiment que les hommes pour imaginer que les femmes n’ont pas « cette folie (…) qui nous pousse à nous conduire comme des bêtes insatiables. Car l’homme est naturellement polygame (…) alors que la femme, non », comme disait naïvement notre mousquetaire au début de ses aventures (L’Académie des Beaux-Arts, p.14). Le voilà rattrapé par l’expérience !

Le héros gagne ainsi en profondeur dans ce tome : pour la première fois, son cœur s’embrase autant que son corps et l’auteur nous offre une réflexion sur le lien entre l’obsession amoureuse et la création artistique.

Sur fond d’aventures exotiques irrésistibles.


C’est sur des territoires insulaires que s’opère la suite de l’éducation de notre héros, qui continue ainsi ses découvertes ethnologiques. On est d’abord plongé dans l’univers paradisiaque d’un Tahiti miniature, avec des planches où les couleurs primaires dominent, puis transporté dans ce qui pourrait être la rencontre entre l’île de Crusöé et l’île de Pâques. En effet, comme dans les deux premiers tomes, les clins d’œil littéraires sont omniprésents : de la référence directe à la pièce On ne badine pas avec l’amour d'Alfred de Musset dès le titre, en passant par le roman d’aventures maritimes et l’hommage à Daniel Defoe, l’auteur joue avec les genres. Mais Sfar s’amuse aussi avec le statut de son héros, définitivement polymorphe : le mousquetaire se mue tour à tour en capitaine, en nouveau Robinson, mais aussi en héros hawaïen champion de surf…créant sans cesse la surprise et des rebondissements et brisant toute possibilité de catégorisation. Tous ces échos, comme toujours dans l’œuvre de Sfar, font de la lecture des aventures de ce « minuscule mousquetaire » un moment de ravissement à la fois joyeux et captivant intellectuellement.

Ce troisième tome tient les promesses des deux premiers : Sfar dépayse allègrement son lecteur et entretient avec lui une complicité intellectuelle sur le mode de l’humour. On suit avec un intérêt grandissant les aventures de son héros, toujours en couleur directe, s’il vous plaît. Vivement le quatrième tome !

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