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Homme au Chapeau Rouge

Ray Bradbury ( Auteur), Patrick Marcel (Traducteur), Stefan Minning (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/05/06  -  Livre
ISBN : 9782070309566
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Lavadou   - le 20/09/2018

De la poussière à la chair

Ray Bradbury est né en 1920. A 23 ans, il devient écrivain à plein temps, en commençant par des nouvelles. Puis il publie ses Chroniques martiennes en 1950, chef-d’œuvre de science-fiction poétique, bientôt suivi de Fahrenheit 451 qui sera adapté au cinéma par François Truffaut en 1966. Il travaille également pour la télévision et le cinéma. En 2001, il publie De la poussière à la chair, commencé plus de 50 ans plus tôt.

Une histoire de famille

Timothy, bébé abandonné, a été recueilli au pied d’un étrange manoir par une famille non moins étrange, composée d’êtres surnaturels : Mille fois Trisaïeule, la momie du grenier ; Cecy, jeune fille qui, en s’endormant, envoie son esprit explorer les alentours et ses habitants ; l’oncle Einar, aux ailes de chauve-souris ; et des centaines d’autres fantômes et créatures fantastiques de passage. Parmi eux, Timothy se sent trop… normal. Mais un danger guette la Famille : les temps modernes lui sont de moins en moins favorables.

Le style caractéristique de Bradbury

Ce qui frappe en premier lieu lorsque l’on commence la lecture de De la poussière à la chair, avant même d’en percevoir l’intrigue, c’est le style caractéristique de Bradbury : une écriture poétique, lyrique, avec des envolées métaphoriques assez audacieuses. Une lecture très agréable, qui fait mentir les détracteurs des genres de l’imaginaire quant aux qualités littéraires de ceux-ci.

Pourtant, on se demande parfois si l’auteur n’en fait pas un peu trop et s’il ne force pas son style, ce dernier prenant parfois le pas sur les images qu’il est censé véhiculer. Par exemple, les personnages fantasmatiques du roman ont du mal à exister, écrasés par ces descriptions lyriques qui rendent justice à leur nature évanescente mais qui les emprisonne dans les mots. Ils perdent en consistance psychologique ce qu’ils gagnent en dimension onirique. De plus, cette écriture poétique est parfois un peu désuète pour décrire un monde moderne. L’éloignement et l’exotisme de Mars dans les Chroniques martiennes permettaient une liberté de ton qui devient ici un peu trop artificielle.

C’est sans doute volontaire de la part de Bradbury – opposer la nature chimérique des créatures de la nuit au matérialisme d’aujourd’hui – et cela aurait probablement eu plus d’impact si l’intrigue n’avait pas souffert elle aussi de ce manque de solidité.

Une intrigue plate et des personnages peu cohérents

Car c’est surtout là que le bât blesse. La nature du roman elle-même – une suite de nouvelles et de chapitres écrits sur 50 ans – est à l’origine d’une impression de morcellement du récit qui empêche une intrigue de s’installer et de se développer. Si chacune des petites histoires du livre ont leur intérêt et leur charme, elles sont reliées artificiellement et forment un tout décousu. Ainsi, la Grande Réunion d’Halloween, décrite avec une flamboyance extraordinaire (« De par le monde, les morts qui s’étaient couchés pour de longs sommes se dressèrent sur leur séant, surpris et glacés, et eurent envie de connaître de plus singulières occupations que la mort »), nous semble être le point de départ de l’intrigue, mais n’est finalement qu’un feu de paille ayant tout juste permis de mettre en évidence un vague danger pour la Famille. De même, le passage sur l’oncle Einar est emprunt de tendresse mais n’apporte rien au développement du récit, isolé et n’ayant que peu de cohérence avec la personnalité d’Einar qui transparaît dans les autres chapitres.

De telles incohérences sont fréquentes chez les personnages dont on a du mal à cerner les sentiments et parfois même le rôle. Timothy avait ainsi tout pour être le ciment du texte, seul être humain normal et donc porteur d’un point de vue extérieur et, pourquoi pas, rapporteur de l’évolution de la Famille. Mais son rôle n’est que peu développé, il disparaît parfois pendant des chapitres entiers et n’est finalement que le prétexte à un couplet classique sur la différence. Il en va de même pour d’autres protagonistes qui disparaissent au bout de quelques pages sans raison, ou au contraire qui apparaissent à la fin du roman avec une importance telle qu’on se demande comment ils n’ont pu être évoqués plus tôt.

Ce manque de cohérence des créatures ne se retrouve pas seulement dans l’intrigue mais dans leur nature même. Elles viennent presque toutes d’Egypte, qui semble être pour Bradbury le berceau de l’imaginaire. Mais il n’est jamais dit pourquoi. C’est d’autant plus frustrant que, à part la momie, aucun personnage important n’est originaire d’Egypte et qu’on se demande vraiment pourquoi l’auteur a autant focalisé dessus…

Des thèmes autour de la mort

Heureusement, De la poussière à la chair aborde des thèmes d’un grand intérêt, même s’ils ne sont pas véritablement encadrés. Le plus important, celui qui donne son sens au roman, est le constat d’un monde de plus en plus matérialiste au sein duquel l’imaginaire ne trouve plus sa place, menaçant les créatures fantastiques de disparition. On ne peut s’empêcher de penser au Peter Pan de James M. Barrie, dans lequel Peter invite le public à scander « I believe in fairies » pour sauver Clochette. C’est la même « maladie » qui atteint les personnages du roman de Bradbury, frappés par l’oubli, l’incrédulité, la « marée montante du scepticisme ». L’auteur dénonce la perte des valeurs spirituelles d’un monde en guerre – la nouvelle à la base du roman date de 1945 – qui se traduit par un athéisme, et plus généralement un agnosticisme en expansion et l’ignorance de ce contre quoi ces valeurs se battaient – les monstres, les démons, les fantômes. On peut rapprocher cette idée du film d’Isao Takahata, Pompoko, où là aussi le progrès inexorable de la civilisation humaine oblige les tanukis, animaux mythologiques japonais, à l’adaptation ou la mort. C’est également cette solution qui est proposée par Bradbury. Malheureusement, il ne l’exploite pas à fond.

Un autre thème, moins prégnant mais tout aussi présent, est l’importance de la mort dans une vie, comme régénérateur – voir le personnage d’Angelina Marguerite – ou tout simplement comme motivation. « Hâtez-vous de vivre », dicte une maxime sur un tapis du manoir. Bradbury n’oppose pas la mort et la vie : il les entrecroise intimement, et ses créatures sont la personnification parfaite de ce lien.
Mitigé

De la poussière à la chair laisse au final une impression mitigée. Les thèmes du roman sont fascinants et bien illustrés, mais peu servis par une intrigue trop mince et des personnages trop fuyants. Quant au style, il ravira certainement les amateurs de poésie et de belle écriture, qui se laisseront emporter par les envolées lyriques omniprésentes. Mais attention à l’indigestion et au systématisme artificiel…

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