Oui, "vision" en référence au sous-titre original de ce deuxième volume Gap Into Vision. Et puis "vision", car la nôtre va enfin singulièrement s'éclaircir, à mesure que l'histoire, elle, va s'assombrir.
Au sortir de La Véritable histoire, nous avions laissé Morn Hyland, fliquette en décomposition mentale de la PCMU, aux mains du farouche Capitaine Succorso. Flibustier flamboyant, "l'homme qui ne perd jamais" avait arraché la belle des griffes de son ennemi juré, Angus Thermopyle, pirate sans foi ni loi et parangon d'abjection, qui, pour s'assurer la coopération de la jeune femme s'était appliquéà méthodiquement la détruire, à déchiqueter la plus petite parcelle d'amour propre qu'elle pouvait entretenir. Il l'avait dégradée au-delà de l'imaginable, et pire que tout, l'avait rendue dépendante de son implant de zone.
Cette petite électrode logée dans le cerveau permet au possesseur de la télécommande qui l'actionne de contrôler l'implanté. Si, à l'origine, les motivations de Thermopyle étaient légitimes, à savoir empêcher Morn de succomber au mal de l'espace qui l'oblige à engager l'autodestruction de son vaisseau dès qu'elle est soumise à des g intenses, le corsaire avait très vite trouvé d'autres raffinements à cette commodité. Néanmoins, l'utilisation illégitime de cet implant étant punie de mort, lors de son arrestation sur la station spatiale Com-mine, il avait confiéà Morn le boîtier de contrôle, et elle, par l'approbation tacite de cet étrange marché, avait refusé l'aide de la sécurité de la station pour lui préferer celle de Nick Succorso.
Le Savoir interdit débute très exactement là où s'était arrêté le tome précédent, à savoir l'évasion de Morn Hyland, et son arrivée sur le Caprice du Capitaine, le vaisseau de son sauveur. Sans se bercer d'illusions et n'ayant pour lui que mépris, la jeune femme va très vite apprendre à se programmer elle-même pour donner à Succorso l'illusion qu'il est le maître du jeu, alors qu'en sous-main, elle va œuvrer à sa propre survie. Sa survie, et celle, elle va rapidement le découvrir, de l'enfant qu'elle porte en son sein. Son fils, conçu d'un des innombrables viols que Thermopyle lui avait fait subir.
Drôle de pistolet tout de même que ce Donaldson. Alors qu'il est plus connu pour ses sagas de Fantasy, lorsqu'il se risque au Space Opera, c'est avec une originalité et une pertinence plus que convaincante. Si il avouait s'être laissé aller dans La Véritable histoireà un exercice de style qui parfois nuisait à la profondeur de ses personnages, on s'aperçoit bien vite qu'il a su radicalement y remédier pour ce deuxième tome. Tout entier axé sur le bras de fer qui va opposer Nick Succorso et Morn Hyland, Le Savoir interdit nous entraîne toujours avec la même théâtralité et le même sens de la démesure dans une spirale de noirceur. Un huis clos qui tout entier repose sur les épaules des deux protagonistes, dont l'affrontement d'une rare violence va être le principal moteur l'intrigue. Rarement auteur n'aura tenté de donner à ce genre généralement réservéà l'aventure, une dimension si dure et si sombre, ni autant privilégié l'intimisme. Un intimisme d'une brutalité et d'une cruauté parfois dérangeante, où s'expriment des personnages complexes, Succorso – secret, torturé, hanté et ordure hors-calibre – et Morn – jeunesse détruite mais glaçante par sa résolution à survivre à la détestation d'elle-même –. Tous deux s'intègrent à merveille dans ce décor spatial crédible qui jamais n'emprunte au registre de l'auter. Nous ne sommes dans l'une de ses sagas de "Fantasy à boulons".
Et la rupture avec le premier volume s'inscrit aussi dans cette volonté de mieux dresser le décor. Donaldson utilise avec une habileté redoutable les codes du Space Opera pour imposer un univers cohérent, fort, mais assez simple pour laisser la part belle à l'humain.
Son indéniable talent à planter des personnages de tragédie, son authentique génie à leur trouver des noms qui les imposent dans un imaginaire vivace, font de ce deuxième opus bien plus qu'un tome de transition. Le cycle a bel et bien trouvé son rythme de croisière. Original, bouillonnant, lyrique sans tomber dans la caricature, mais d'une noirceur abyssale, Le Savoir interdit est un must dont la réédition s'imposait, et dont la lecture est, elle, plus que nécessaire.