Né en 1959, l’éclectique Ayerdhal fut entre autre animateur socioculturel et sportif de haut niveau avant de devenir un grand auteur de science-fiction engagé et novateur, récompensé de nombreuses fois : Grand prix de l'imaginaire 1993 pour Demain une oasis, prix Ozone en 1997 pour Parleur ou les Chroniques d'un rêve enclavé, Prix Tour Eiffel 1999 pour Étoiles mourantes. L’un des écrivains SF le plus lu de France maîtrise et mélange tous les genres : space opéra, polar, roman d’anticipation, conte philosophique…
Préparez-vous à une épopée torride dans les camps humanitaires tenus de main de maître par Dziya la Terrible, qui enlève des médecins européens pour les mettre au pied des charniers s’amoncelant dans le Sahara. Nous découvrons le carnage à travers le regard acerbe et bouleversé d’un kidnappé plongé du jour au lendemain la tête la première dans les noman’s land de la fournaise subsaharienne pour soigner les oubliés de l’état, des médias, et de l’Onu.
Fin de Partie en extérieur jour
La fin du monde ne peut espérer meilleur écrin que le désert, où l’existence humaine est réduite à néant, rendue vaine par le déploiement de l’infini. En fait, désert signifie « abandonné ». Submergé de chaleur et de lumière dans une dimension dont il semblerait que Dieu lui-même se soit détourné, notre héros est au plus fort de sa solitude, livré à lui-même, à la poussière et au soleil.. Territoire de l’ « infini », c’est-à-dire l’In-Fine (à l’intérieur de la fin) le désert est par nature un espace idéal pour mettre en scène la mort, l’issue, l’épilogue car il annihile tous les corps par l’insolation permanente.
C’est dans ce cadre mortifère et propice à la quête initiatique que se déroule Demain, une oasis.
Borges disait que le désert était le meilleur des labyrinthes. En essayant de trouver l’issue de ce dédale topographique et métaphysique, l’interne apprend le libre arbitre, le don de soi, l’amour.
Mais dans ce roman d’anticipation, le néant rampe et gagne tout le continent africain, accroissant la pauvreté, pendant que l’humanité multiplie les conquêtes spatiales. A travers ce paradoxe sourd l’intuition éclairée du roman d’Ayerdhal, qui s’appuie sur des données écologiques concrètes, le réchauffement de la planète, pour formuler une hypothèse forte : L’expansion spatiale comme faire valoir des nations et moyen de diversion pour faire oublier l’indigence galopante. Mine de rien, guerre froide mise à part, ce scénario résonne à l’échelle macroscopique, avec la politique suivie par les monarchies voraces européennes du 15 ème siècle, avides d’éblouir le peuple par l’appropriation de contrées inconnues, plutôt que de régler la pauvreté endémique des rues. Depuis cette époque, les hommes ont-ils changé ?
Une œuvre politique
Dans cet univers absurde, le comble de l’égoïsme est atteint : Pour faire de l’humanitaire, il faut devenir terroriste. Comme les révolutionnaires d’ Antan avec la démocratie.
L’éternelle question des fins et des moyens suppure au fil des dilemmes rencontrés par le héros et son équipe, nous plongeant au cœur de la problématique humanitaire, dans une perspective à la fois éthique et technique : Comment opérer ? Quelles sont les priorités ? Soigner la population, ou bien les expulser de ce fichu désert ? La racine du mal est-elle le désert ?
En plus d’être un polar des plus palpitants, l’œuvre d’Ayerdhal, profondément engagée, constitue un pamphlet cinglant à l’égard de notre politique occidentale envers le tiers monde , ainsi qu’une métaphore tout aussi puissante de la sourde mécanique à l’œuvre de l’appauvrissement de la planète . Tout y passe : l’industrie pharmaceutique véreuse, les échanges de mauvais procédés, l’exploitation. On referme le bouquin avec un malaise certain devant notre molle résignation face à la décrépitude de l’Afrique. Ayerdhal nous jette à la figure l’ignorance, la crédulité, et la lâcheté, qui sont notre lot quotidien.
Par son ancrage profond dans le monde d’aujourd’hui, l’introduction progressive d’éléments fantastiques est redoutablement efficace. En ce sens, cette œuvre fera réfléchir tous ceux considérant la SF comme un sous genre de farfelu, au même titre que La nuit des temps de Barjavel, que cette chronique d’une terre condamnée rappelle par instant grâce à ses éclats lyriques, ses instants fugaces éblouissant la noirceur générale. On retiendra les passages où l’Interne s’éprend de Tatiana sur le pont d’un bateau en partance pour Odessa…ou bien l’émerveillement qui l’anime lorsqu’enfin, la pluie tombe sur la terre consumée de soleil. Ardente, sèche, précise, l’écriture d’Ayerdhal est à l’image du désert, elle touche à l’essentiel : en plein cœur.
Demain, une Oasis est un roman visionnaire, à ranger aux côtés du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Il faut compléter cette lecture avec l’ouvrage d’un grand romancier de l’Afrique, le prix Nobel Michael Coetzee, qui a révélé lui aussi l’inhumanité et l’absurdité à l’œuvre des camps de réfugiés, véritables prisons humanitaires dans Michael K, sa vie, son temps.
Bon voyage…